
Elu en 2018 à la tête de la préfecture d’Okinawa, Tamaki Denny tentera de conserver son poste lors des élections prévues en septembre prochain. / Asahi Shimbun Zoom Japon a pu s’entretenir en exclusivité avec le gouverneur Tamaki Denny pour évoquer la situation de l’archipel. Tamaki Denny, le gouverneur d’Okinawa, est fier de ses racines. Né en 1959 d’un père américain et d’une mère japonaise, il a utilisé son héritage mixte pour gagner des voix lors de la campagne électorale pour le poste de gouverneur en 2018. Bien que sa déclaration selon laquelle “les États-Unis m’écouteront parce que mon père était Américain” ait souvent été prise avec légèreté, il a remporté le scrutin avec 55 % des suffrages et, cette année, il tentera de conserver son poste à la tête de la préfecture d’Okinawa.Amateur de musique et ancien DJ de radio, Tamaki Denny évite la propagande anti-américaine stridente de nombreux politiciens et militants d’Okinawa. Mais cela ne signifie pas qu’il accueille favorablement les bases américaines sur le sol okinawaïen. En effet, il critique depuis longtemps et sans ambages la présence militaire américaine.Né près de l’une de ces bases, à l’extrémité de la péninsule de Katsuren sur l’île principale d’Okinawa, son quotidien était marqué par la présence des soldats américains. “Au début des années 1960, lorsque j’étais un petit garçon, les Etats-Unis avaient intensifié leur présence au Viêt Nam. Avant cela, il y avait eu la guerre de Corée, des troubles civils et la fondation de la République populaire de Chine, et toute l’Asie du Sud-Est était vraiment instable, si bien que beaucoup de soldats américains avaient été envoyés à Okinawa. Là où je vivais, il y avait une base américaine et autour de celle-ci, les habitants avaient ouvert de nombreux magasins destinés aux soldats. Il y avait des tailleurs, des barbiers, etc. Bien sûr, les Japonais aussi pouvaient utiliser ces boutiques, mais les Américains étaient leurs principaux clients. Et dans les mêmes quartiers, il y avait de nombreux bars qui étaient régulièrement fréquentés par les soldats. Ainsi, alors qu’à l’époque j’avais presque oublié mon père Américain, c’est mon environnement immédiat qui est devenu mon principal lien avec la culture américaine”, se souvient-il.Son père était un marine qui s’était amouraché d’une fille de la région. “Ma mère est tombée enceinte de moi, mais mon père a été renvoyé aux Etats-Unis avant ma naissance. Au début, ma mère avait prévu de le suivre, mais elle a commencé à s’inquiéter de la difficulté de s’adapter à une nouvelle vie aux États-Unis. Ils sont restés en contact pendant un certain temps, mais quand j’avais environ un an, elle a écrit une lettre à mon père, disant qu’elle voulait m’élever à Okinawa. Ils ont fini par se séparer. Enfant, j’étais curieux de connaître le père que je n’avais jamais eu, alors ma mère a fini par brûler toutes ses photos et ses lettres parce qu’elle voulait que je l’oublie”, raconte-t-il. Il fait remonter son amour de la musique à cette époque. “Depuis les portes ouvertes des bars situés près de chez moi, j’entendais sortir les sons des juke-box. Même à cet âge précoce, j’aimais écouter de la musique. Je me cachais dans l’ombre, près de la porte ouverte, pour ne pas être vu de l’intérieur, et j’écoutais toute cette merveilleuse musique pop occidentale.” Les bases américaines demeurent le sujet le plus sensible pour les habitants de l’archipel. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Alors que le mouvement anti-base faisait rage dans d’autres parties d’Okinawa, la ville où il vivait était relativement calme. “Le syndicat des enseignants et ceux des travailleurs étaient assez actifs, mais pas tellement contre les Américains. L’une des raisons, outre les avantages économiques, était que la base elle-même était située dans un endroit isolé, au sommet d’une haute falaise, alors que ma ville se trouvait en bas. En outre, de nombreux soldats appartenaient au corps des communications. Il n’y avait pas d’avions à réaction vrombissant au-dessus de nos têtes ou d’autres activités susceptibles de perturber notre vie quotidienne”, note-t-il. “Quand j’avais quatre ou cinq ans, j’avais l’habitude avec d’autres enfants de monter à la base pour attendre que les soldats sortent. Dès que le portail s’ouvrait et qu’une voiture sortait, nous criions “Chocolat ! Chocolat !” ou “Chewing-gum ! Gum !” et ils nous les lançaient. La meilleure chose dont je me souvienne, c’est qu’on m’a donné une pomme entière. Je me demandais si je pouvais la manger tout seul. Parce que vous voyez, c’était la première fois que j’avais la chance de mordre dans une pomme entière. Ma mère ne m’en donnait qu’un quartier parce que manger des pommes était alors un luxe”, ajoute-t-il.Ses souvenirs d’enfance concernant les bases américaines ne sont pas négatifs, mais en même temps, il a pris conscience que la présence américaine à Okinawa pouvait aussi être source de troubles. “Je suis né en octobre 1959. En juin de la même année, un avion à réaction qui avait décollé de la base aérienne de Kadena s’est écrasé sur une école primaire de la ville d’Ishikawa, et de nombreux élèves et membres du personnel sont morts ou ont été blessés. D’autres accidents se sont produits après ma naissance, mais le pire, c’est que quoi qu’il arrive, les citoyens d’Okinawa ou même la police locale étaient totalement impuissants. L’armée américaine était une communauté autonome et si un membre des forces armées causait un accident ou commettait un crime, il était traduit en cour martiale mais n’était pas remis aux Japonais. Depuis mon plus jeune âge, je me suis habitué à écouter des nouvelles similaires et je savais que c’était mal et injuste”, assure le gouverneur.Tamaki Denny venait d’entrer au collège lorsque Okinawa est officiellement repassé sous autorité japonaise en 1972, après 27 ans sous tutelle américaine. “Depuis lors, la préfecture d’Okinawa a bénéficié de plusieurs projets entrepris dans le cadre de la loi sur les mesures spéciales de promotion et de développement d’Okinawa. Grâce à l’aide financière de Tôkyô, nous avons pu améliorer les infrastructures locales, en réalisant de nouvelles routes et en construisant des barrages, des ports et des aéroports....
