L'heure au Japon

Parution dans le n°121 (juin 2022)

Consacrée en 1908, l’église en briques rouges de Dôzaki se situe sur l’île principale de Fukue. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Au large de Nagasaki, cet archipel est longtemps resté un bastion du christianisme pourtant interdit au Japon. Bordées de falaises abruptes, couvertes de montagnes de forêt dense, les îles Gotô, au large de Nagasaki, sont parmi les plus isolées et les plus inhospitalières du Japon. Et pourtant, au sommet de collines surplombant de modestes villages de pêcheurs, perdus à flanc de montagne et accessibles uniquement par de longues routes sinueuses, s’élèvent les clochers de surprenantes églises catholiques. Partir à la découverte des quelque cinquante églises catholiques romaines des îles Gotô, c’est se plonger dans l’extraordinaire histoire de la religion chrétienne au Japon.Le christianisme avait connu un début prometteur dans l’Archipel avec l’arrivée, en 1549 dans le sillage des premiers marchants Portugais, du missionnaire jésuite François Xavier. En cette période de guerres incessantes entre factions rivales, certains seigneurs, en particulier sur l’île méridionale de Kyûshû, avaient bien accueilli ces nouveaux visiteurs, surtout pour les armes à feu qu’ils apportaient avec eux, et toléré les missionnaires. En quelques décennies, ces derniers, tirant parti de l’instabilité de l’époque, réussirent à convertir un nombre assez considérable de personnes, notamment dans les régions autour de l’actuelle préfecture de Nagasaki. Le christianisme pouvait alors être pratiqué ouvertement. Cependant, en 1597, le shogun Toyotomi Hideyoshi publiait un édit d’interdiction de la religion, perçue dorénavant comme une menace à l’unité du pays, et crucifiait 26 chrétiens à Nagasaki en guise d’avertissement. Le Japon avait entre temps réussi à fabriquer localement des armes à feu, rendant le commerce avec les étrangers moins indispensable. Par la suite, le shogunat Tokugawa isolationniste proscrivait le christianisme et expulsait tous les missionnaires. Après la rébellion dans la presqu’île de Shimabara, en 1637, qui impliqua de nombreux paysans portés par la foi chrétienne, des milliers de rebelles furent exécutés et l’interdiction totale du christianisme fut strictement appliquée. Les chrétiens qui revendiquaient leur foi étaient torturés et forcés par l’inquisition à l’exil.Seules de petites communautés de croyants résistèrent et trouvèrent alors refuge sur les îles Gotô qui, du fait de leur éloignement, offraient une certaine protection. Ainsi pendant plus de deux siècles, ces “chrétiens cachés” (kakure kirishitan) continuèrent à pratiquer leur religion en secret, sans prêtres, jusqu’à ce que les Etats-Unis forcent en 1853 le Japon à s’ouvrir. Cette opiniâtre résistance témoigne de la résilience de la foi chrétienne japonaise. Compte tenu de cette histoire, il est assez surprenant qu’il subsiste si peu de chrétiens aujourd’hui, on estime qu’ils ne représentent que 0,3 % (2016) de la population totale. Bien que les mariages dans les chapelles, dépouillés de leur signification religieuse, fassent désormais partie des coutumes de la société japonaise, le christianisme n’a jamais réussi à s’enraciner dans le pays. Intérieur de l’ancienne église Gorin située sur l’île de Hisaka. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Sur les îles Gotô, alors qu’il s’agit de loin du pourcentage le plus élevé du Japon, seulement 15 % environ des habitants sont aujourd’hui chrétiens. Et pourtant, à partir de 1873, année où l’interdiction de la foi chrétienne fut levée, un grand nombre d’églises furent construites et de véritables communautés se forgèrent dans des villages où tous les habitants étaient catholiques et où la vie tournait autour de la paroisse, chose qui n’a existé nulle part ailleurs au Japon.Sur l’île de Fukue, principal point d’accès de l’archipel des Gotô, s’élève l’élégante église en briques rouges de Dôzaki, idéale pour une entrée en matière. Consacrée en 1908, elle est, après la basilique d’Ōura de Nagasaki, la plus ancienne église de style occidental de la préfecture. Construite, au bord d’une paisible crique, en briques rouges importées d’Italie, son intérieur est orné de sobres vitraux. Alors que la plupart des églises servent encore de lieux de culte, l’église de Dôzaki fait office de musée des chrétiens cachés et des missionnaires qui ont établi la religion de la Bible au Japon.Sur l’île voisine de Hisaka, l’ancienne égliseGorin est un modeste bâtiment abrité par de grands arbres. On y accède par bateau ou après une marche dans la forêt. Son style particulier...

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