L'heure au Japon

Parution dans le n°29 (avril 2013)

La montagne qui occupe 80 % du territoire de l’archipel fait l’objet d’un culte particulier. Nous l’avons expérimenté. Dans l'ancienne province de Dewa, il existe trois montagnes sacrées que les pèlerins japonais arpentent depuis des siècles. Pour honorer les dieux, des ascètes qu'on appelle yamabushi se livrent à des rituels de purification et amènent des novices s'initier dans la montagne.  Vêtus de blancs et d'étranges chemises à carreaux, les yamabushi  sont particulièrement présents dans les trois monts Dewa, dans l’actuelle préfecture de Yamagata, au nord-est du Japon.  Soumis à des rituels de passage, ils se baignent debout sous des cascades glacées, et mangent uniquement des plats végétariens. Cette cuisine spécifique, le shôjin ryôri (cuisine de purification), accompagne le pèlerinage pour nourrir le corps autant que l'esprit.  Préparée également dans les auberges de la région, elle est aussi saine que succulente. L'auberge Daishôbô, véritable caravansérail des yamabushi, a eu l'idée de combiner cuisine spirituelle et randonnée pour un séjour unique. Désormais, Japonais et étrangers peuvent goûter à une cuisine unique et s'initier à ce que le Japon a de plus sacré : sa montagne. Au sommet du mont Haguro, nous sommes accueillis dans un sanctaire shintô. Après avoir gravi les 2 446 marches de la "montagne aux ailes noires", il fait bon se rafraîchir sur le tatami en admirant quelques reliques shintô-bouddhistes. Deux moines arrivent et prient les pèlerins de s'incliner. Le son des grelots vient nous parcourir la nuque jusqu'à la colonne vertébrale pour nous purifier. Les psaumes qui honorent les trois montagnes sacrées de Haguro, Gassan et Yudono sont recités à l’infini et mettent dans un état de transe. L’ascension de la montagne, une cinquantaine de minutes, n'a pas été éprouvante physiquement, mais pour le premier jour, les pèlerins en herbe qui débarquent de Tôkyô sont un peu sonnés. L'entrée dans le royaume de Haguro est en soi un dépaysement complet. Dans une forêt peuplée de cèdres immenses, se dresse une pagode entièrement en bois de 5 étages, aussi vieille (600 ans) que les arbres qui l'entourent. Par un escalier en pierre qui épouse les formes de la montagne, nous traversons des forêts bordées de pierres sacrées, où à mi-chemin se trouve une charmante maison à thé d’où on peut admirer par beau temps la mer du Japon. Ainsi, nul besoin d'être bouddhiste pour apprécier les sutras du sanctuaire des monts Dewa après l’ascension de la montagne: on est déjà à moitié initié. Le shûgendô, pratiqué par les yamabushi, est une croyance millénaire qui est la base de la spiritualité zen et shintô. Dans le sanctuaire, alors que le jour tombe, le gong retentit pour appeler les déités de la montagne à descendre dans le monde des humains. Au Japon, la montagne est le domaine des esprits.  On sort ainsi de ce premier jour à Haguro ensorcelés, et prêts à digérer une cuisine spirituelle. Dans la cuisine, Hoshino Makiko procède méthodiquement au lavage et à la préparation d’ingrédients "bio" : racines, pates de soja, et algues se mélangent dans un concert de texture sur sa table de travail. Dérivé végétarien du kaiseki ryôri, art culinaire qui combine frugalité et esthétisme, la cuisine shôjin a pour règles de ne pas utiliser de produit animal - viande, poisson, lait, œufs- et privilégie ce que la montagne offre de mieux: sa végétation. Selon Makiko, cette contrainte n’altère nullement le plaisir du goût. Cette femme, née dans la préfecture de Niigata, s’est mariée à un yamabushi et a dû apprendre sur le vif les coutumes culinaires spécifiques. "Tout...

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