
Avec ses milliers d’îles, la Seto naikai est un havre de paix qui se visite à petite vitesse. / Angeles Marin Cabello pour Zoom Japon Encore épargnée par le surtourisme, cette région réserve bien des surprises à ceux qui s’y aventurent. Lorsque votre avion descend vers l’aéroport du Kansai, ne manquez pas de regarder par le hublot. Vous serez récompensé par la vue remarquable d’une île parfaitement rectangulaire flottant sur la mer. Cette merveille d’ingénierie humaine est l’aéroport où vous êtes sur le point d’atterrir. Face à un spectacle aussi époustouflant, on vous pardonnera de ne pas prêter beaucoup d’attention à la mer qui entoure l’île. Mais si ce premier aperçu fugace des eaux est tout ce que vous voyez, vous passerez à côté de l’une des destinations secrètes les plus enchanteresses du Japon. Il s’agit en effet de la mer Intérieure de Seto, ou Seto naikai, qui s’étend entre Honshû, Kyûshû et Shikoku, trois des quatre plus grandes îles du Japon. En 1934, le gouvernement a classé une partie de cette mer comme premier parc national du Japon, avant même le mont Fuji, les sommets et les glaciers des Alpes du Sud et 32 autres sites magnifiques qui sont devenus par la suite des parcs nationaux.Qu’est-ce qui rend la mer intérieure si spéciale ? Une étendue d’eau est une étendue d’eau, non ? Eh bien, dans ce cas, non. La mer Intérieure abrite un véritable labyrinthe de milliers d’îles. Personne ne sait exactement combien il y en a, mais elles sont bien trop nombreuses pour être comptées avec précision. A lui seul, le parc national de Seto naikai compterait quelque 3 000 îles. Couvrant plus de 9 000 kilomètres carrés de zones côtières et insulaires dans 11 préfectures, d’Ôsaka à Fukuoka, c’est également le plus grand parc national du Japon. Le port de Tomo no Ura symbolise la vie tranquille de cette région maritime. / Angeles Marin Cabello pour Zoom Japon La première fois que l’on pose les yeux sur ce labyrinthe d’îles, on est à la fois émerveillé et apaisé. Avec sa mer calme ponctuée de pics verdoyants, elle ressemble à un jardin zen à l’échelle océanique. En fait, de nombreux jardins de cette région reproduiraient la vue sur les îles, avec leurs eaux sereines et leurs tourbillons occasionnels. Et tout comme le jardin du temple Ryôan à Kyôto, où l’on ne peut jamais voir les 15 rochers, quel que soit l’angle sous lequel on les regarde, il est impossible d’avoir une vue complète des îles. En parcourant la route côtière, chaque virage, chaque légère montée, chaque kilomètre offre un nouvel angle sur le paysage qui se dévoile, révélant de nouvelles îles, les unes après les autres, qui disparaissent dans la brume comme des montagnes dans un rouleau de peinture à l’encre. “Un paysage magnifique qui s’étend sur une vaste superficie – il ne peut y avoir de plus bel endroit au monde. Ce lieu sera célébré comme l’un des plus charmants au monde et attirera de nombreux visiteurs.” C’était l’avis du baron Von Richtofen (1833-1905), géographe et scientifique allemand. “Le dernier vestige du Japon ancien”, estime Donald Ritchie dans son livre The Inland Sea (1971). Mais dans le même ouvrage, l’écrivain américain prédisait que dans 40 ans, ce mode de vie aurait disparu, étouffé sous le déluge de la modernisation. Avait-il raison ? C’est ce que nous allons voir.La plus grande concentration d’îles se trouve entre Okayama et Hiroshima, ce qui en fait la partie la plus pittoresque du parc. Si la vue d’ensemble de ces nombreuses îles est à couper le souffle, les découvrir au détour d’une promenade n’en est pas moins fascinant. Vous vous retrouvez dans un royaume d’agrumes et de rizières nichées dans les plis doux de montagnes couvertes de forêts, ponctuées de petits hameaux. Les forêts descendent jusqu’au bord de mer. Des plages de sable blanc et des pins entourent de nombreuses îles. Vous remarquez rapidement que la vie sur ces îles suit un rythme différent de celui du continent. Le temps lui-même semble s’écouler plus lentement, tout comme la circulation. C’est une vie au ralenti. L’agitation des grandes villes n’a pas sa place ici. Mais ce n’est pas seulement le rythme qui est différent. Tout le mode de vie est différent de celui des métropoles. “J’aime cet endroit parce qu’il est très calme”, explique Iwamoto Kana, étudiante à l’université. “La nuit, on n’entend que le chant des grillons. Et c’est très sûr. Nous sortons souvent sans fermer la porte à clé.” A 17 heures, il n’est pas rare d’entendre un message diffusé par haut-parleur demandant aux jeunes enfants de rentrer chez eux. La plupart des rues sont désertes à la tombée de la nuit. Le célèbre omotenashi (hospitalité) japonais est toujours très présent ici. Si vous demandez votre chemin à quelqu’un, il y a de fortes chances qu’il ne se contente pas de vous répondre, mais qu’il vous y conduise personnellement, même si cela lui fait un détour. A tel point qu’un homme vous rattrape en courant alors que vous grimpez une côte à vélo, juste pour s’assurer que vous êtes sur la bonne route pour rejoindre le port ferry en contrebas, à Nishinoshima, de l’autre côté de la baie, en face de Hiroshima. La mer Intérieure est souvent qualifiée de mer sans tempête. Protégée sur une grande partie de son étendue par la grande île de Shikoku, elle est rarement touchée par les typhons. Néanmoins, les îles situées en dehors du bouclier protecteur de Shikoku restent exposées aux risques. Le sanctuaire Itsukushima, sur l’île de Miyajima, classé au patrimoine mondial, a été endommagé à plusieurs reprises par des typhons. Le climat généralement doux est idéal pour la culture des agrumes. Depuis le déclin de la construction navale et d’autres industries traditionnelles, les agrumes, des mandarines mikan aux hybrides cultivés uniquement ici, sont devenus une activité majeure. La région de Setoda, sur l’île d’Ikuchijima, est particulièrement réputée pour ses agrumes. Les étals de fruits sans vendeur au bord des routes sont monnaie courante sur beaucoup de ces îles. Il suffit de se servir et de laisser l’argent dans la boîte prévue à cet effet. Et comme on est au Japon, personne ne songerait à prendre quelque chose sans payer.Fin de soirée sur l’île de Kurahashi. Un jeune couple pêche depuis le quai en béton. La pêche est très populaire au Japon (voir Zoom Japon n°142, juillet-août 2024), tant chez les hommes que chez les femmes. Mais pour ces pêcheurs, la pêche n’est pas un loisir. Ils pêchent pour leur propre consommation : le dîner de ce soir, le petit-déjeuner de demain, voire le déjeuner de toute la semaine si les poissons mordent. Le poisson et la mer sont au cœur de la vie ici. Sur une plage de l’île d’Etajima, vous pouvez pêcher des palourdes pour une somme modique, mais uniquement lors de la pleine lune. Il suffit d’apporter un chapeau, un râteau et un seau, et le tour est joué. Vous payez ensuite au poids ce que vous avez pêché. Chaque île possède des lieux préservés. / Angeles Marin Cabello pour Zoom Japon Ici, sur les îles, l’identité des gens est intimement liée à leur histoire, pas seulement celle de leur île, mais aussi à l’histoire naturelle, au changement des saisons et à leurs effets sur la nature et les hommes. Les habitants sont imprégnés d’histoire. A deux pas de la ville côtière historique de Tomo no Ura (voir Zoom Japon n°64, octobre 2016) se trouve la minuscule île de Sansui, en forme de larme, avec sa petite pagode rouge qui se détache parfaitement sur le bleu de la mer et le vert de l’île. On dirait qu’elle a été placée là avec le talent d’un peintre ajoutant une touche finale de couleur qui met en valeur le reste du tableau. La vue devient ainsi une collaboration entre la nature et les hommes, un thème récurrent dans ces îles. Mais ce n’est pas seulement une jolie vue. “La position des étoiles et des planètes par rapport à ces îles indiquait aux habitants quand il était temps de célébrer le solstice, l’équinoxe, la pleine lune d’octobre et le Nouvel An”, note le prêtre bouddhiste du Fukuzen-ji de Tomo. Les émissaires de Corée et des Pays-Bas ont loué la beauté de la ville. En 1711, l’envoyé coréen I-pan-on qualifia la vue de Benten de “plus belle vue du Japon”. Tomo est un important centre de commerce maritime depuis plus de 12 siècles. C’est le seul port complet de l’époque d’Edo au ...
