L'heure au Japon

Parution dans le n°107 (février 2021)

Nakagawa Yusuke animation japonaise

Nakagawa Yûsuke à l’université de Waseda où il enseigne. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Si nous aimons tant les dessins animés japonais, il faut en chercher les raisons derrière le petit écran. Ecrivain et éditeur Nakagawa Yûsuke est l’auteur de plus de 70 livres sur la culture pop japonaise. Il a eu l'amabilité de parler à Zoom Japon de son dernier opus, le deuxième volume d’une histoire monumentale de l'animation intitulée Anime taikoku kenkokuki 1963-1973 : Terebi anime o kizuita senkushatachi [La naissance du géant de l’animation (1963-1973) : Les pionniers de l'animation télévisuelle, Ed. East Press, inédit en français] qu’il a publié à la fin de l’été dernier. 1963 a marqué la naissance du dessin animé télévisé au Japon, mais pourquoi avez-vous arrêté votre histoire en 1973 ?Nakagawa Yûsuke : Comme mon histoire commence par la réalisation d’Astro le petit robot, j'ai donc pensé qu'elle devait se terminer lorsque Mushi Production, le studio qui l’a produit, a fait faillite en 1973. Cette décennie représente la période pionnière de la réalisation d’anime au Japon, et Mushi Pro en était le noyau central. Un an plus tard, Matsumoto Leiji créera Yamato, inaugurant ainsi une nouvelle phase dans l’histoire de l’animation. De plus, en termes pratiques, bien que mon livre ne couvre que la première décennie de l’histoire des anime après-guerre, il compte près de 500 pages. Il aurait été physiquement impossible d'ajouter des centaines de pages supplémentaires (rires). Astro le petit robot est la toute première série d'anime télévisée japonaise. Fait significatif, elle a été diffusée pour la première fois sur Fuji TV, l'une des principales chaînes de télévision commerciales du pays, le jour de l'an.N. Y. : Oui, elle a été diffusée un mardi à 18h15. Au Japon, le créneau horaire 18 h-19 h arrive juste avant les heures de grande écoute (ou Golden Time, comme on l'appelle ici) et jusqu'à récemment, il était souvent consacré aux anime et aux séries avec effets spéciaux comme Kamen Rider ou Ultraman (voir Zoom Japon n°60, mai 2016) parce que les écoliers regardaient la télévision à cette heure. Le même épisode était ensuite rediffusé à 16 h ou 17 h, juste à temps pour le retour des enfants de l'école. Vous êtes né en 1960, trois ans avant qu’Astro le petit robot n'arrive sur le petit écran. Quels sont vos premiers souvenirs liés à l'animation ?N. Y. : Evidemment, mes souvenirs ne sont pas très précis, mais je me souviens avoir regardé Astro le petit robot à l’âge de trois ans. Non seulement c’est le premier dessin animé que j’ai vu, mais c’est aussi la première série télévisée que je me souviens avoir regardée. J’avais l’habitude de collectionner les autocollants qu’ils offraient en prime avec le chocolat Meiji [Meiji était le sponsor du programme]. Je peux encore chanter la chanson du générique ! En d’autres termes, aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un grand fan de ce dessin animé, même si j’ai en réalité de meilleurs souvenirs d’Obake no Q-Tarô Little Ghost Q-Taro. Je me souviens encore avoir mis un morceau de tissu blanc sur ma tête et avoir joué au Q-Tarô. Astro le petit robot était un programme révolutionnaire à cette époque. Il a également servi de modèle aux séries qui ont suivi.N. Y. : C'est exact. Tezuka Osamu savait que son studio n’avait que des moyens limités, mais il estimait que si l’histoire était intéressante, on pouvait produire des anime pour la télévision à bon prix et en faire un succès. Par exemple, il a introduit des techniques permettant d’économiser de la main d’œuvre, comme le recours à moins d’images par seconde et même à de nombreuses images fixes.Selon Tomino Yoshiyuki, qui a travaillé comme scénariste et a réalisé les story-boards, l’environnement de la production n'était pas aussi stable. Par exemple, à la moitié de la série, les principaux animateurs ont été assignés à travailler sur Le Roi Léo (Janguru taitei) de sorte que chaque fois que la production était en retard et qu’un nouvel épisode n’était pas prêt pour la diffusion hebdomadaire, ils devaient utiliser des parties d’épisodes précédents ou des scènes de leur bibliothèque d’anime. Le réalisateur d’anime Suzuki Shin'ichi a confié que même Studio Zero avait brièvement participé à la réalisation d'Astro le petit robot.N. Y. : Studio Zero est né la même année que cette série. Il était composé d’artistes de mangas qui vivaient à Tokiwasô, l’immeuble d’habitation à Tôkyô où Tezuka lui-même avait vécu au milieu des années 1950. Je parle d’Ishinomori Shôtarô (voir Zoom Japon n°77, février 2018), de Fujiko Fujio, d’Akatsuka Fujio et de Suzuki lui-même. Dans un sens, ils étaient tous des disciples de Tezuka. Au cours de l’été 1963, celui-ci les a chargés de dessiner le 34e épisode de la série. Cependant, chaque artiste a dessiné les personnages d’une manière légèrement différente. Il n’y avait pas d’unité visuelle. Tezuka n’a pas été satisfait du résultat et le Studio Zero n’a plus reçu d'autres demandes. Cet épisode, d’ailleurs, a disparu pendant longtemps. Lorsqu’il a été découvert, il a été restauré et ajouté à un coffret DVD sorti en 2002. La diffusion initiale d’Astro le petit robot a duré quatre ans. C'est assez long pour une série d’animation télévisée.N. Y. : Elle aurait pu durer encore plus longtemps. Mais le sponsor Meiji a décidé que c’était suffisant. Cependant, l’émission est restée incroyablement populaire. Lorsque Fuji TV a fait l’annonce de l’arrêt, elle a été inondée de lettres de protestation, et le dernier épisode, diffusé le 31 décembre 1966, a eu une audience supérieure à 20 %. Revenons à 1963. Cette même année, Astro le petit robot a été suivi par d'autres séries, à savoir Tetsujin 28-go, Eightman et Ken l’enfant loup (Ôkami Shônen Ken). Les deux premiers ont été produits par TCJ devenu Eiken tandis que le dernier a été réalisé par Tôei Dôga. Chaque studio avait une approche différente ?N. Y. : La principale différence est qu’Astro le petit robot était le rêve de Tezuka ; il voulait vraiment transformer son manga en une œuvre animée. Les autres projets, en revanche, sont nés pour des raisons financières ; les diffuseurs et les sponsors ont vu dans les dessins animés une nouvelle façon de gagner de l’argent, alors ils se sont adressés aux studios. Tetsujin 28-go, par exemple, était sponsorisé par l'entreprise alimentaire Glico. L'auteur du manga original, Yokoyama Mitsuteru, n’avait jamais imaginé transformer son histoire en un anime.Eightman, le premier super-héros cyborg du Japon, est un exemple intéressant de synergie précoce entre sponsors et créateurs. La série utilise le nucléaire comme source d’énergie, et afin d’éviter la surchauffe de son réacteur nucléaire miniature et de son cerveau électronique, il doit “fumer” un liquide de refroidissement semblable à une cigarette. C’est parce que le sponsor, Marumiya, espérait vendre son chocolat en forme de cigarette à tous les enfants qui regardaient l'émission. Et c’est ce qu’ils firent, car cet anime s'avéra très populaire et atteignit un taux d’audience de 25,3 % en septembre 1964.Quant à Ken l’enfant loup, il s’agissait de la première série d’animation télévisée de la Tôei. Cette société était beaucoup plus grande et possédait un savoir-faire technique plus important que Mushi Pro et TCJ. Tôei employait environ 3 000 personnes alors que Mushi Pro n’en a jamais eu plus de 500 et TCJ était encore plus petit. Elle ne se concentrait que sur les longs...

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