
Pour Ikeda Shin, passionné de Harley, la moto a été un formidable moyen d’expression. Rédacteur en chef du magazine Hotbike Japan, Ikeda Shin se consacre à la culture de la Harley Davidson depuis 25 ans. Pourtant cet infatigable globe-trotter n'a pas toujours été un "biker". Né en 1962 à Nagano, ce quinquagénaire à l'air juvénile n'a d'ailleurs rien du motard tatoué qui parcourt les routes avec sa bande. Très timide, il a choisi la moto comme une échappatoire à la société japonaise déjà très codée des années 1970. Devenu la star des courses en Harley, il a parcouru les Etats-Unis, puis l'Asie en tant que journaliste puis crée le magazine Hotbike, puis Tabigaku, qui se consacre aux récits de voyage les plus rocambolesques. Des bôsôzoku aux otaku en passant par les Hells Angels, Ikeda Shin nous raconte son parcours et sa vision du Japon en tant que reporter, voyageur et motard. Votre amour de la Harley vous a amené à la création de Hotbike, mais avant cela, que faisiez-vous ? Ikeda Shin : Comme tous les adolescents, je rêvais d'avoir une grosse moto, mais mes parents me l'interdisaient. J'avais 16 ans. J'étais passionné de vélo et quand je me suis acheté ma première Mopetto (Mobed), je me suis dit : “Avec ça, je peux aller jusqu'au bout du monde !”. Ça a été une révélation. Après, je suis parti à Tôkyô pour mes études. J'ai passé en cachette mon permis pour les grosses cylindrées. A l'époque c'était extrêmement difficile de l'avoir et j'ai dû le repasser plusieurs fois. Et là, j'ai acheté ma première italienne, une Ducati. Je n'étais alors pas du tout intéressé par les Harley ! Dans les années 1980 à Tôkyô, vous apparteniez à une bande de motards ? I. S. : Non pas du tout. En fait, j'étais pratiquement toujours tout seul à moto. J'aimais cette solitude parce que j'étais d'une timidité presque maladive. Je ne pouvais même pas entrer dans un restaurant tout seul ou demander un renseignement ! A moto, on n'a pas besoin de parler. A partir de mes 18 ans, je partais seul sur la route, avec juste un sandwich et mon sac de couchage. C'était effrayant des fois de dormir la nuit dans des temples ou des parcs, mais je préférais ça plutôt que d'entrer dans un hôtel. C'était l'époque des bôsôzoku, pouvez-vous nous expliquer ce que c'est ? I. S. : “Bôsô” veut dire foncer, et “zoku”, la tribu, la bande. C'est ce que faisaient beaucoup de jeunes motards à l'époque quand j'étais au lycée. Ils étaient en bande et fonçaient sur les routes en zigzaguant pour échapper à la police. Ils avaient une dégaine particulière, les cheveux décolorés avec des blousons de kamikaze et des 400 qu'ils avaient “choppées”. Ça consistait à enlever ou remplacer certaines parties de la moto pour la rendre plus rapide, plus belle, et ça devait faire un maximum de bruit pour réveiller les gens ! Les bôsôzoku sont considérés comme des voyous dangereux au Japon, mais beaucoup d'entre eux ont bien réussi leur vie après. Etre bôsôzoku, c'est d'abord une énergie. Dans la société japonaise où il n'y a aucune place pour les recalés aux examens, il fallait trouver un moyen de se défouler, de sortir cette énergie accumulée par le stress. Je pense que c'est unique, car contrairement aux Etats-Unis où l’on dispose de grands espaces, il y a peu d'échappatoires au Japon quand on est jeune. A présent, c'est devenu une mode, qui n'a rien à voir avec l'état d'esprit initial. Vous avez commencé à travailler directement dans un magazine spécialisé dans les motos, c'était le métier que vous vouliez faire depuis longtemps ? I. S. : J'ai toujours aimé écrire. Quand je suis sorti de l'université, j'ai répondu à une petite annonce d'un magazine de moto. J'aimais la vitesse et tout ce qui venait d'Italie, la mode, tout ça. Mais quand Harley a sorti son premier modèle Evolution Sportster en 1986, j'ai craqué. J'ai toujours été un passionné de sport et de vitesse. Seulement, cette moto était encore trop lente pour moi et je me suis mis à la “chopper”, à bricoler le moteur. Je l'ai démontée des dizaines de fois ! A l'époque, les Harley étaient très rares au Japon et c'était vraiment dur d'avoir des pièces détachées. Mais c'est comme ça que j'ai appris la mécanique et ça a changé ma vie. Désormais, je pouvais faire tout moi-même. A quelle époque, la Harley a été popularisée au Japon? I. S. : C'est dans les années 1990 que les Harley ont vraiment débarqué au Japon. A l'époque, il y avait de plus en plus de motards qui se rassemblaient pour les “Sunday Race”, la course du dimanche. Ça continue encore d’ailleurs. Dans les années 1980, quand j'y allais, c'était surtout un rassemblement de motos vintage. J'ai commencé à faire des interviews des participants, puis je me suis mis à y participer. J'avais investi dans une grosse Harley Chopper, comme celle qu’on voit dans le film Easy rider ! Il y avait une course spéciale qui s'appelait "Harley class" sponsorisée par Harley Davidson Japan. Elle réunissait plus de 1 000 personnes chaque année et après plusieurs compétitions, je l’ai remportée. Vous avez été influencé par des films comme Easy Rider ? I. S. : Pas du tout! En fait quand j'étais plus jeune, je me suis endormi à chaque fois que je l'ai vu. Je ne comprenais rien du tout à cette histoire de hippies avec leur LSD. Et je n'aimais pas du tout le style des motos Harley Chopper non plus. Dur à croire quand on me voit maintenant. (rires). C'est à cette époque que vous êtes allé pour la première fois aux Etats-Unis ? I. S. : Oui, j'étais devenu fou des vieux modèles Harley. Un jour, à la rédaction, ils ont décidé de sortir un spécial Harley. Et c'est comme ça que j'ai...
