L'heure au Japon

Parution dans le n°40 (mai 2014)

De plus en plus, les hommes politiques sont tentés de jouer avec l’Histoire. Un jeu qui peut s’avérer dangereux. Dans le débat qui fait rage au Japon autour de la mémoire historique et le révisionnisme, il n’est pas toujours facile d’y voir très clair. C’est la raison pour laquelle nous avons rendu visite à Nakano Kôichi, professeur de science politique à l’université de Sophia à Tôkyô et directeur de l’Institute of Global Concern. Quand les gens évoquent le nationalisme japonais, ils parlent souvent de la doctrine Yasukuni en référence au sanctuaire implanté à Tôkyô. Il ne s’agit pas d’un sanctuaire comme les autres, n’est-ce pas ? Nakano Kôichi : En effet. Il ne fait même pas partie de ce shintoïsme d’Etat qui prévalait avant la guerre. Il a été construit par le gouvernement de Meiji et était à l’origine géré par les ministères de l’Armée et de la Marine. Mais ce n’est pas non plus un mémorial laïc. C’est juste un sanctuaire militaire très particulier avec une approche très particulière de l’Histoire. Que dit cette fameuse doctrine Yasukuni ? N. K. : Elle dit que toutes les guerres menées par le Japon impérial étaient toutes des guerres d’autodéfense. Par conséquent, les personnes mortes au combat - pas seulement les soldats, mais aussi les infirmières tuées à la guerre - devraient être honorées et traitées comme des dieux. Car dans cette logique, ces conflits n’ont jamais été considérés comme des guerres d’agression. Comment considérez-vous les visites des Premiers ministres ou de politiciens au sanctuaire d’un point de vue constitutionnel du fait de la séparation de la religion et de l’Etat ? Comme je vous le disais, avant la guerre, le sanctuaire était soutenu par l’Etat et faisait partie de l’Etat. Pendant l’occupation américaine, sa seule façon de survivre a été de devenir une organisation religieuse, indépendante de l’Etat, au même niveau que la Sôka Gakkai ou même la secte Aum. En réalité, ce n’est pas tout à fait le cas. Même après la guerre le ministère de la Santé et du Bien-Être a continué à lui fournir la liste des morts à la guerre. Donc la séparation n’est pas aussi claire que cela. Le principal problème est lié au fait qu’un Premier ministre se rend au sanctuaire à titre officiel. Tant que lui ou un autre politicien le fait à titre privé, cela ne pose pas de problème, mais lorsque cela relève d’une charge officielle, on se trouve alors face à un problème constitutionnel. Cette incongruité a commencé à être mise en évidence au milieu des années 1970. Certains politiciens jouaient sur les mots pour rendre acceptable leur visite, mais en vérité, la loi est très claire puisqu’elle explique que l’utilisation de fonds publics ou de voitures officielles n’est pas permise. Donc la question constitutionnelle est plus ou moins réglée. Cela dit, il y a une bonne dose d’hypocrisie chez des gens comme le Premier ministre Abe ou son prédécesseur Koizumi au début des...

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