
Depuis 2006, le Mémorial de la paix Chûkiren se bat pour que la vérité sur la guerre soit mieux diffusée. Si le Yûshûkan incarne la version attrayante de l’histoire du Japon, à une trentaine de kilomètres au nord de la capitale, on trouve un lieu qui est radicalement son opposé. Pour s’y rendre, il faut prendre le train jusqu’à la petite gare de Tsurugashima, puis emprunter un taxi dont le chauffeur un peu perdu finira par trouver un bâtiment d’un étage perdu au milieu des champs. A l’intérieur, des ouvrages à n’en plus finir. Certains sont soigneusement rangés sur des étagères, les autres sont dans des cartons qui encombrent toutes les pièces y compris les couloirs. Trois personnes veillent sur ces précieux documents. Bienvenue au Mémorial de la paix Chûkiren, un centre de documentation consacré à la recherche sur les crimes de guerre commis par le Japon. Fondé en 2006 par une association d’anciens rapatriés de Chine, il abrite de nombreux documents importants parmi lesquels les témoignages de 200 anciens combattants qui racontent ce qu’ils ont fait ou vu pendant qu’ils étaient stationnés en Chine. Aujourd’hui, Serisawa Nobuo et Miyamoto Naoko, les deux salariés à temps plein du Mémorial, nous accueillent en compagnie de Matsumura Takao, professeur émérite à l’université de Keiô et directeur général du Mémorial de la paix Chûkiren. Votre centre est bien loin de tout. Serisawa Nobuo : La première présidente du Mémorial, Niki Fumiko vivait près d’ici. Elle a donc choisi l’endroit par convenance personnelle. Par ailleurs, nous n’avons pas les moyens de payer un loyer élevé à Tôkyô. Lorsque nous avons pris le statut d’ONG, nous n’avons pas voulu recevoir de subventions du gouvernement. Nous souhaitions préserver notre indépendance. Nous ne vivons que des cotisations, de nos campagnes pour récolter des fonds et de l’aide d’une vingtaine de bénévoles. Bien sûr, nous avons conscience que le chemin pour venir jusqu’à nous est un inconvénient, mais nous ne sommes pas une bibliothèque tout à fait comme les autres. La plupart des visiteurs sont des universitaires ou des journalistes qui ont besoin de consulter de la documentation pour leurs recherches. Cela dit, tout le monde est bienvenu ici. L’autre jour, lorsque je vous ai contacté pour organiser cette entrevue, vous sembliez inquiet. Serisawa Nobuo : C’est vrai. Notre association et cet endroit ont fait l’objet de nombreuses attaques de la part de groupes extrémistes. Je me souviens encore de l’article que le magazine Sapio (connu pour ses positions nationalistes) nous a consacré en affirmant que nous étions un bastion anti-japonais. Si l’extrême droite détecte ne serait-ce que la plus petite erreur factuelle de notre part, elle n’hésite pas à en faire une montagne. Voilà pourquoi nous devons nous montrer très prudents. Alors que votre mission est de montrer la vérité sur la guerre, de nombreux politiciens conservateurs, notamment du Parti libéral-démocrate (PLD), persitent à nier les faits en dépit des preuves et des témoignages existant. Que pensez-vous de la controverse qui n’en finit pas sur les manuels scolaires ? Matsumura Takao : L’origine du problème remonte au milieu des années 1950 quand le ministère de l’Education a décidé de rejeter plusieurs projets de manuels. La victime la plus célèbre de cette décision est sans doute le très respecté historien Ienaga Saburô qui a mené une longue bataille contre l’administration et lui a fait un procès en 1965 qui reste encore aujourd’hui le plus célèbre défi lancé à la censure des manuels scolaires. En 1996, un groupe nationaliste a fondé la Société japonaise pour la réforme des manuels d’histoire dans le but de combattre ce qu’ils présentaient comme “une vision masochiste de l’histoire” et d’injecter une dose de fierté dans le passé du Japon. Afin de parvenir à leur objectif, ils ont publié ...
