L'heure au Japon

Parution dans le n°67 (février 2017)

Si vous deviez présenter l’œuvre de votre père à un profane, que lui diriez-vous ? K. M. : La plupart de ses histoires sont sombres. Je pense que c’est lié en grande partie à son enfance. Elles peuvent vous mettre le moral dans les chaussettes si vous n’êtes pas dans de bonnes dispositions. Je dirais que la plupart de ses fans sont des gens qui ont connu des moments difficiles. Cela dit, son style est magnifique. On l’avait surnommé Shôwa no eshi, c’est-à-dire le maître des estampes de l’ère Shôwa (1926-1989) en raison de l’élégance de son trait. Beaucoup ont été séduits par son style avant d’apprécier ses histoires. Il aimait s’attaquer aux tabous existants et il a eu le grand mérite de mettre les femmes, avec tous leurs problèmes, au cœur de son œuvre. Pourquoi votre père était-il si intéressé par les femmes et les gens en marge de la société ? K. M. : Je ne crois pas que mon père était un féministe ou qu’il voulait exprimer un quelconque message politique. Quand il est né, son père avait 64 ans et il est mort quand il avait 12 ans. Il a donc été élevé par sa jeune mère qui était la seconde femme de son père et par ses deux sœurs aînées. Il a grandi en ayant beaucoup de respect pour ces trois femmes. En même temps, il a été témoin de leurs difficultés et il a compris combien il était difficile d’être une femme. C’est ainsi qu’il a développé une sensibilité féminine. Il a été sans aucun doute le premier mangaka à décrire les femmes telles qu’elles sont vraiment, c’est-à-dire des êtres complexes, sans chercher à les exploiter ou à leur donner des leçons. Pensez-vous que votre grand-mère a été un modèle pour ses histoires ? K. M. : Oui. Elle adorait mon père. Sa réussite n’a jamais altéré leur relation. Il se rendait au bar où elle travaillait. Sa mère et ses deux sœurs travaillaient en kimono. Je crois qu’elles sont devenues une source d’inspiration pour les femmes que mon père dessinait. Ma mère n’en a jamais porté et elle se met en colère quand quelqu’un suggère qu’elle a servi de modèle aux héroïnes de mon père. Diriez-vous qu’il a plus de fans chez les femmes que chez les hommes ? K. M. : Il est aujourd’hui très populaire chez les lectrices. Mais dans les années 1960 et 1970, ses récits étaient publiés dans des magazines masculins. A cette époque, il y avait une nette différence entre ce que les femmes et les hommes lisaient. Bien plus qu’aujourd’hui. Aussi peu de femmes avaient la possibilité de lire ses histoires. La seule exception notable concerne Lorsque nous vivions ensemble (Dôsei jidai), son œuvre capitale qui a même été adaptée au cinéma. Elle a marqué un véritable tournant dans l’histoire du ...

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