L'heure au Japon

Parution dans le n°77 (février 2018)

Comparer des traductions d’un même manga mais datant d’époques différentes est un bon moyen d’entrer dans le monde mystérieux de la traduction. En 1995, L’Homme qui marche, de Taniguchi Jirô, avait fait découvrir aux lecteurs francophones adultes qu’eux aussi pouvaient s’intéresser au manga, en leur révélant une œuvre fondée sur la douceur de vivre, la contemplation, l’aventure du quotidien. Quand, en 2015, l’éditeur Casterman m’a proposé de retraduire cet ouvrage, il m’a communiqué une liste des points que l’équipe avait notés comme devant être corrigés : surtout des onomatopées à remplacer, une somme d’argent qui avait été traduite en francs à rétablir en yens, des mots qui apparaissent dans le décor à traduire, etc. Bref, des détails que n’importe qui aurait pu faire, qui n’exigeaient pas à proprement parler une “retraduction”. Des phrases qui ne sonnaient pas bien, aussi. Là, effectivement, il fallait au moins revenir au texte original pour voir comment on pouvait améliorer le rendu en français. Mais lorsque j’ai lu l’original, j’ai compris qu’il y avait quelque chose d’essentiel, que personne n’avait vu. C’est que L’Homme qui marche racontait une histoire. Pour les lecteurs français et les critiques, ce livre était une collection de chapitres indépendants, des journées sans lien les unes avec les autres dans la vie d’un couple d’une quarantaine d’années. Chaque chapitre racontait une mini-histoire, mais il ne se passait rien globalement. Mieux : c’était ce concept de temporalité sans linéarité causale qui avait paru révolutionnaire : on ...

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