L'heure au Japon

Parution dans le n°70 (mai 2017)

Ce que vous dites est important car ce n'était pas la première fois que le Tôhoku subit un tsunami. Dans le passé, on trouvait sur les terrains des bornes qui indiquaient le niveau d'eau atteint par les précédentes inondations, mais les gens oublient, et sous-estiment le fait de vivre dans des zones à risque. F. H. : Ces gens se comportent ainsi pour plusieurs raisons. Au Japon, par exemple, le culte des anciens est encore très important. Les personnes vivent d’habitude près du cimetière où repose leur famille. S'en éloigner signifierait rompre ce lien multigénérationnel avec sa propre terre et ses propres racines: il s’agirait d'une insulte, d’une blessure infligée à ses propres ancêtres. Pour certains ça peut paraître étrange, mais parmi les choses qui blessent le plus les rescapés de Fukushima, c'est l'impossibilité de se rendre sur le tombeau familial et accomplir cette série de rituels qui font partie de nos traditions. Par exemple, la pierre tombale de ma famille a été endommagée par le tremblement de terre du 11 mars. La réparer a été un geste impératif de la part de mes parents. Ce lien avec le lieu d’origine est bien souvent plus fort que tous raisonnements sur la sécurité. Revenons à votre livre. Il commence donc comme un reportage, mais la fiction démarre soudainement lorsqu’un des frères protagonistes de votre précédent roman Seizazoku [La Sainte Famille, 2008, inédit en français] apparaît comme par magie sur le siège arrière de la voiture que vous êtes en train de conduire. Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente peut donc être considéré comme la suite de ce roman ? F. H. : Je ne parlerai pas d'une suite, plutôt d'une idée récurrente. Chaque écrivain revisite souvent les mêmes thèmes, sous différentes formes. Dans mon cas, le désastre du 11 mars a généré une série de pensées qui m'ont porté à refaire vivre certains éléments de Seizazoku. J’ai atteint un stade où le simple reportage n’était plus suffisant à exprimer mes sentiments et j’ai dû avoir recours à des instruments narratifs, que je maîtrise mieux. C'est important de souligner que beaucoup de personnes ont fui Fukushima, mais des centaines d'autres personnes ont accouru pour aider, témoigner, ou simplement voir ce qui s'était produit. Les frères de Seizazoku peuvent donc être vus non pas comme les personnages d’une histoire, mais comme des individus réels, puisque leur regard peut représenter le...

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