L'heure au Japon

Parution dans le n°12 (juillet 2011)

Cela fait cent ans que le plus célèbre pont du Japon a été reconstruit en pierre. L’occasion de découvrir le quartier qui porte son nom. Le visiteur, qui arrive pour la première fois à Tôkyô pour peu qu’il ait pris une des nombreuses navettes qui relient l’aéroport de Narita au centre de la capitale, a l’impression que les routes sont en suspension en raison du réseau assez dense d’autoroutes qui la traverse. Il finit même par oublier qu’il y a sous ses enchevêtrements de béton et d’acier des ouvrages d’art bien plus beaux et chargés d’histoire. Construites au début des années 1960 pour faciliter la circulation dans la ville qui allait accueillir en 1964 les Jeux olympiques, les autoroutes aériennes ont certes rendu service, mais elles ont dénaturé certains endroits de la capitale, comme Nihonbashi, littéralement le “pont du Japon”, qui symbolise comme le pont Mirabeau à Paris un certain esprit de la cité. L’écrivain Kaikô Takeshi avait publié à cette époque un texte à charge contre les initiateurs des projets autoroutiers. “Est-ce que les gens qui traversent aujourd’hui Nihonbashi ont un sentiment de liberté ? Il n’y a plus ni ciel ni eau. A la place, il y a ces autoroutes et leurs ossatures d’acier d’où dégringolent des poussières noires”, écrivait-il. Ce sentiment est partagé par de nombreux habitants du quartier qui, depuis quelques années, se mobilisent pour lui rendre son lustre d’antan et surtout redonner à cet endroit son âme. Le Français Noël Nouët, dans son ouvrage Tôkyô vue par un étranger paru en 1934 dans lequel il dressait un portrait de la capitale japonaise en 50 dessins, rappelait que “Nihonbashi étai très populaire à Edo et bien des estampes le représentent avec la foule pittoresque qui s’y pressait”. L’engouement pour ce lieu était dû en grande partie au fait que l’ouvrage servait de point de départ pour les grandes routes du pays. Aujourd’hui encore, une plaque rappelle que les distances étaient calculées à partir de ce lieu comme Notre-Dame à Paris. Nihonbashi était le cœur commercial d’Edo. C’est là que vivaient les marchands les plus riches et que les grandes enseignes comme Mitsui ou Daimaru ont prospéré. Pour illustrer le poids important de ce quartier, il faut rappeler qu’il a, en 1896, accueilli le premier bâtiment de taille imposante et de style occidental conçu et construit par des Japonais.  Il s’agissait de la Banque du Japon. Centre financier du pays, le quartier attirait les investisseurs et les entreprises qui voulaient profiter de cette richesse. Une promenade dans le quartier permet de découvrir encore quelques traces de ces bâtiments. Celui de la Banque du Japon est ouvert au public. Le visiteur peut ainsi prendre la mesure du travail accompli par l’architecte Tatsuno Kingo largement influencé par les constructions britanniques. Non loin de là, on trouve également les beaux restes de l’empire Mitsui, notamment le bâtiment principal (Mitsui honkan) qui fut en 1929, six ans après le terrible séisme qui ravagea Tôkyô, le premier à utiliser les techniques de pointe venues des Etats-Unis dans le domaine du béton. Ce premier immeuble de bureaux en impose encore et rappelle que la famille Mitsui était l’une des plus opulentes de l’archipel. Elle a accumulé de nombreux trésors que le musée Mitsui (Mitsui kinen bijutsukan) met en valeur à quelques pas de ce bâtiment aux formes classiques qui a bien résisté à l’usure du temps. Ce n’est pas le cas du pont lui-même. Nihonbashi a initialement été construit en 1603, au début de la domination des Tokugawa sur le pays. “Nihonbashi, c’est le poumon d’Edo. C’est là que se rassemblent les gens venus de toutes les régions du pays. Que l’on jette un regard à droite ou à gauche, tout ce qui l’entoure suscite l’émerveillement”, écrivait-on à l’époque. Edo était alors l’une des cités les plus dynamiques de la planète et pour en prendre conscience, il fallait emprunter ce pont et ensuite traverser le quartier marchand toujours achalandé. Chaque année, lorsque le représentant de la Hollande, qui était le seul pays étranger autorisé à avoir un contact avec le Japon, faisait le voyage depuis Nagasaki, il devait passer par cette structure en bois qui a disparu. Aujourd’hui, le “pont du Japon”, dans sa forme originale en bois, est  visible à Kyôto. Pour les besoins des très nombreux films en costumes (jidaigeki) qui se déroulent souvent à l’époque d’Edo  (1603-1868), les studios de la Tôei implantés dans l’ancienne capitale impériale ont construit une réplique que l’on peut fouler lorsqu’on se rend là-bas depuis qu’une partie des studios a été transformée en parc de loisirs (eiga mura). A Tokyo, le bois a été remplacé par la pierre. L’actuel Nihonbashi a été inauguré en 1911. Même s’il n’est pas aussi majestueux que certains ponts parisiens, il vient rappeler que Tôkyô est une ville d’eau. Si le “pont du Japon” n’enjambe pas la fameuse rivière Sumida, mais la rivière Nihonbashi, il met en lumière l’importance de l’eau dans l’histoire de la ville. Point de départ des cinq principales routes du Japon, dont le fameux...

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