L'heure au Japon

Parution dans le n°118 (mars 2022)

Yonamine Kazue dirige l’Okinawa Times depuis 2018. Elle est la seule femme à occuper ce poste au Japon. / Okinawa Times Depuis sa fondation en 1948, l’Okinawa Times n’a cessé de s’engager en faveur de la défense des intérêts de l’archipel. A l’ère d’Internet, de la domination des images, des “fake news” et des temps d’attention réduits, de nombreux médias écrits doivent s’adapter rapidement à la nouvelle situation s’ils veulent survivre. L’Okinawa Times n’y a pas échappé. En décembre 2021, une nouvelle rotative est entrée en service ; en janvier 2022, le journal est passé entièrement à la couleur ; et depuis 2018, le journal a une toute nouvelle patronne, Yonamine Kazue, qui a la particularité d’être la seule femme rédactrice en chef d’un quotidien au Japon.Figurant parmi les deux principaux quotidiens d’Okinawa, l’Okinawa Times est une publication relativement jeune puisqu’il est né le 1er juillet 1948 des cendres de l’Okinawa Shimpô.Il a été fondé par neuf anciens employés de ce journal qui, dans un contexte de destruction générale et de manque de machines, ont dû se contenter d’une ronéotypie. Quoi qu’il en soit, ils ont commencé par publier un scoop sur le passage au “B yen”, la monnaie alors émise par l’armée d’occupation américaine. En effet, dans l’immédiat après-guerre, l’Okinawa Times était le seul quotidien “professionnel” à Okinawa, l’autre grand journal, l’Uruma Shimpô (désormais Ryûkyû Shimpô, voir pp. 12-13) étant publié par des enseignants et d’autres personnes inexpérimentées.La position éditoriale générale de l’Okinawa Times est favorable au pacifisme et à la neutralité non armée. Il s’oppose aux amendements constitutionnels – en particulier concernant l’article 9, qui interdit la guerre – et aux changements d’interprétation du droit d’autodéfense collective. Il exprime également avec vigueur son opposition aux bases militaires américaines et à leurs effets négatifs sur la vie à Okinawa. En 1971, par exemple, il a été récompensé par le Congrès japonais des journalistes pour son reportage sur la fuite de gaz toxiques sur l’île. En juillet 1969, il est apparu qu’il y avait eu une fuite au dépôt de munitions de Chibana, dans le village de Misato (actuellement Okinawa City), où 13 000 tonnes d’armes à gaz toxique étaient stockées. Bien que le protocole de Genève interdise “l’utilisation d’armes chimiques en temps de guerre”, leur développement, leur production n’étaient pas interdits, et Okinawa était devenu un lieu de stockage de ces substances. Ce scoop a déclenché de vives protestations réclamant le retrait de ces armes du territoire local. Cependant, les négociations entre les autorités et l’armée américaine ont pris du temps, car elles devaient déterminer l’itinéraire et les coûts du transfert, ainsi que les mesures de sécurité pour les habitants. Finalement, les dernières armes à gaz toxique ont quitté les îles le 9 septembre 1971, plus de deux ans après l’incident.Depuis sa création, l’Okinawa Times a joué un rôle important au sein de la communauté locale.En 1972, par exemple, le journal a remporté le 20e prix Kikuchi Kan pour la série de YoshiakiToyohira intitulée “Promouvoir la protection de toute la culture d’Okinawa après la guerre”. Puis, en 1978, Arakawa Akira a reçu le 32e prix culturel du Mainichi pour ses mémoires sur le temps qu’il a passé dans les îles Yaeyama en tant que chef d’agence du journal. Aujourd’hui, les îles Yaeyama sont l’une des principales destinations touristiques d’Okinawa, Mais lorsqu’Arakawa y vivait, alors qu’elles étaient toujours sous tutelle américaine, il y avait encore peu de touristes et les habitants vivaient dans des conditions difficiles dues notamment aux taxes, à la migration forcée et à la malaria.Dans un entretien accordé à Zoom Japon, Yonamine Kazue confirme l’engagement du journal envers la communauté locale. “Okinawa, ou plutôt le royaume des Ryûkyû, existait bien avant d’être annexé de force au Japon. Et même après l’annexion, ce territoire a conservé sa culture et sa langue propres. À cet égard, en plus de faire ce que fait tout journal, c’est-à-dire diffuser les nouvelles et suivre la situation politique et économique, notre mission a été de soutenir la culture, la musique et la danse traditionnelles locales et de garder vivants les souvenirs de la guerre”, explique-t-elle. “Nous parrainons également Okiten, une exposition artistique annuelle. Elle a été organisée pour la première fois en 1949 avec l’idée que la promotion culturelle permettrait de soutenir les citoyens de la préfecture pendant les temps difficiles de la reconstruction, et elle s’est poursuivie pendant plus de 70 ans, devenant le plus grand événement artistique d’Okinawa”, ajoute-t-elle.L’engagement de l’Okinawa Times envers la communauté locale s’étend à l’autre grand quotidien de l’archipel, le Ryûkyû Shimpô. Les deux journaux sont peut-être rivaux dans les kiosques, mais ils estiment aussi avoir besoin l’un de l’autre pour survivre. C’est pourquoi, en 2009, ils ont signé un accord pour s’entraider en cas de catastrophe ou de défaillance du système. Même si la rédaction demeure largement masculine, les choses ont beaucoup changé depuis que Yonamine Kazue est entrée au journal en 1990. / Okinawa Times L’essor d’Internet au cours des 20 à 30 dernières années a rendu la vie de plus en plus difficile aux médias traditionnels, et les journaux japonais ont été particulièrement lents à s’adapter à la nouvelle situation, probablement parce que leur modèle de distribution (jusqu’à récemment, le portage à domicile dominait) et la fidélité de leurs lecteurs plus âgés ont partiellement ralenti la baisse de la diffusion et des revenus publicitaires. Actuellement, le tirage de l’Okinawa Times s’élève à 150 000 exemplaires.“L’édition papier perd constamment des lecteurs et cette tendance négative s’est aggravée au cours des cinq ou six dernières années. C’est bien sûr un problème que nous partageons avec d’autres journaux, non seulement au Japon mais aussi dans le monde entier. De plus, à l’exception du Nihon Keizai Shimbun [le...

Réservé aux abonnés

S'identifier S'abonner

Exit mobile version