L'heure au Japon

Parution dans le n°111 (juin 2021)

“Back to the Futaba”, clin d’œil au film Retour vers le futur, est une réflexion sur le temps qui passe dans un lieu où tout semble s’être figé. / Alissa Descotes-Toyosaki pour Zoom Japon Baptisé Futaba Art District, le projet artistique vise à redonner des couleursà une cité fantomatique. Graphiste, Akazawa Takato n’aurait probablement jamais entendu parler de Futaba sans une rencontre fortuite avec Takasaki Jô, un habitant de cette bourgade. Avec sa coupe rasée half-hawk et sa longue mèche blonde sur le côté, ce natif de Kyôto qui fait penser à un personnage de dessin animé s’est rendu plusieurs fois dans cette ville. Adepte du street art, le chef d’entreprise, qui dirige le collectif Overalls à Tôkyô, a voulu redonner du dynamisme à la ville en peignant des fresques géantes sur les murs. Une touche de couleur exubérante qui détonne avec l’allure fantomatique de la ville. Comment avez-vous rencontré Takasaki Jô ?Akazawa Takato : L’été dernier, un ami m’a amené dans une brasserie dans le quartier de Sangenjaya, à Tôkyô, et m’a présenté le patron, Takasaki Jô. On a tout de suite sympathisé, car on avait le même âge (40 ans) et les mêmes goûts pour le graphisme. Ensuite, il m’a dit qu’il était de Futaba. Je lui ai demandé quel genre d’endroit c’était. Il m’a répondu que le village avait été complètement évacué après l’accident nucléaire, mais qu’il venait de rouvrir en partie. Nous avons échangé nos coordonnées. Sur le moment je ne pensais à rien, mais le lendemain, quand Jô m’a contacté pour me demander si ça m’intéresserait de faire un projet à Futaba et de peindre des murs, j’étais super content. En fait, j’y avais pensé toute la nuit, mais je n’avais pas osé lui demander ! Connaissiez-vous Futaba avant cela ?A. T. : Non pas du tout. A vrai dire, je n’avais jamais mis les pieds dans la préfecture de Fukushima, ni même dans le Tôhoku avant de rencontrer Jô. Par chance, la gare de Futaba venait d’ouvrir quelques mois auparavant, et était accessible en trois heures depuis Tôkyô. Nous sommes partis à dix la première fois. C’était un timing parfait. Votre projet est parti d’une initiative très spontanée. Vous aviez une idée précise de ce que vous vouliez faire ?A. T. : Pas vraiment. Au début, on s’est dit avec Jô qu’on pourrait faire juste une peinture sur le mur de la maison de son père. Nous voulions faire quelque chose qui se démarque. Mais quand nous avons vu la très belle maison de son père, je lui ai dit qu’il valait mieux choisir un autre endroit. C’est là qu’il m’a montré le Takasaki Kitchen, le restaurant que tenait son père, dont il ne restait plus que deux murs en coin en face de la gare. J’ai trouvé l’endroit parfait. Vous avez baptisé cette première peinture “Graph balcony”. Elle représente un homme et une femme qui tendent le bras en essayant de se rejoindre. Que signifie-t-elle ?A. T. : “Graph balcony” est une inspiration de Roméo et Juliette. Ils sont séparés par le mur de la radioactivité, mais la courbe baisse, année après année, pour symboliser l’espoir. Vous aviez prévu de faire juste une peinture, mais finalement le projet a pris une ampleur considérable. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?A. T. : Ce jour-là, Jô voulait se rendre au cimetière et nous l’avons accompagné dans cette ville complètement déserte. Le cimetière était très délabré avec des mauvaises herbes partout. Il priait et en regardant sa silhouette de dos, j’ai senti qu’il portait un poids énorme, comme une culpabilité envers ses ancêtres, car la maison familiale et toute la ville étaient à l’abandon. On a décidé de ne pas nous arrêter là et de continuer à peindre. Cela a donné naissance à l’autre peinture sur le mur de Takasaki Kitchen : la main gauche de Jô avec un index pointé vers un message qui dit “Here we go!” afin de montrer Futaba comme un endroit d’où quelque chose va naître, comme un point de départ. Cette peinture et les autres sont beaucoup plus grandes et dans un style plus tape-à-l’œil que la première. Est-ce un choix délibéré ?A. T. : Oui. On voulait faire des peintures plus gaies. A la base, Overalls ne conçoit pas l’art comme un geste politique pour faire réfléchir. Notre but a toujours été de provoquer un effet de surprise chez le spectateur avec des...

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