L'heure au Japon

Parution dans le n°37 (février 2014)

Chaque année, les habitants de l’ancienne cité impériale célèbrent leur passé lors d’un défilé haut en couleurs. La jeune femme assise sur le banc redresse sa perruque et applique la dernière touche à son maquillage. Son visage est semblable à de la porcelaine blanche, ses lèvres en forme de cœur ont une couleur rouge sang. Elle exprime une certaine tristesse cachée. Elle porte plusieurs kimonos les uns sur les autres. Elle doit souffrir de la chaleur. Il est à peine 10h30 et la température déjà étouffante frôle les 30°C. A sa droite, un guerrier samouraï a ôté son casque. Il s’assoit et plonge le nez dans sa boîte-repas multicolore composée d’une douzaine de compartiments colorés. De temps en temps, son cheval pousse des hénissements d’impatience. Tout autour, les bancs sont chargés d’épées, de carquois remplis de flèches, de casques, de peaux de bêtes et autres sandales en corde. On a l’impression de se retrouver sur le plateau d’un film hollywoodien. Mais nous sommes loin de la Californie. Nous nous trouvons dans les vastes jardins du Palais impérial dans la ville ancienne de Kyôto. Les gens se préparent à la Jidai matsuri ou festival des temps anciens. Avec la fête de Gion et le festival Aoi, il s’agit de l’un des trois rendez-vous importants de l’année à Kyôto. La première Jidai matsuri s’est déroulée en 1895 pour commémorer l’achèvement du magnifique sanctuaire Heian. Nous étions le 22 octobre, marquant le 1100ème anniversaire de l’entrée de l’empereur Kammu dans la cité en 794 qui en fit la capitale du Japon. A l’époque, la ville ne s’appelait pas encore Kyôto. On la connaissait sous le nom de Heian-kyô, la capitale de la paix et de la tranquilité. Le sanctuaire a été élevé pour célébrer les âmes de Kanmu, premier empereur (781-806) à avoir régné à Kyôto, et de Kômei, dernier empereur (1846-1867) à y avoir vécu avant que la capitale ne soit transférée à Tôkyô en 1868 lors de la restauration de Meiji. “Les habitants de Kyôto étaient tristes de voir l’empereur quitter leur ville. Ce fut un moment très nostalgique pour eux”, confie le journaliste Nakata Masahiro, lui-même résident de l’ancienne capitale impériale. Voilà pourquoi, en plus de la construction de ce sanctuaire, on a mis sur pied la Jidai matsuri dans le but de redonner un peu de joie de vivre à une population triste d’avoir perdu le statut de capitale et la famille impériale. Cette fête est donc devenue un moyen de célébrer le glorieux héritage de la cité avec des participants vêtus de somptueux costumes représentant les différentes périodes historiques de cette ville qui a été la capitale du Japon jusqu’en 1868. Lorsqu’elle a été lancée en 1895, la Jidai matsuri n’était qu’un modeste événement divisé en six sections. Mais avec le temps, elle a pris de l’ampleur grâce au soutien de la population et des visiteurs. Aujourd’hui, elle compte vingt sections et bénéficie de la participation de 2000 personnes qui forment un cortège de près de 2 kilomètres de long. Celui-ci suit un parcours d’environ 4,5 kilomètres entre le Palais impérial et le sanctuaire Heian. Il démarre aux alentours de midi et n’atteint pas sa destination finale avant 14h30. Chaque année, près de 150 000 personnes viennent y assister. La renommée de la Jidai matsuri est telle qu’en 1998, une mini fête des temps anciens a été organisée à Paris pour célébrer le quarantième anniversaire du jumelage entre Kyôto et la capitale française. Le cortège est parti de l’Arc de triomphe avant de passer par la place de la Concorde et le Louvre. Quelque 400 habitants de Kyôto accompagnés par 250 résidents japonais en France et des Français ont défilé dans les rues de Paris pour montrer la splendeur de l’ancienne cité impériale devant une foule estimée à 200 000 personnes. Pendant ce temps, dans le parc du Palais impérial, à l’ombre des grands pins, hommes, femmes et enfants habillés dans des costumes qui constituent un étonnant kaléidoscope de couleurs se préparent pour le défilé. Leurs habits de soie scintillent sous le soleil matinal. Certains font quelques retouches à leurs vêtements. D’autres se détendent et sirotent du thé vert, assis sur des bancs installés pour l’occasion. Autour d’eux, on ne compte plus les chariots, les tansu (coffres en bois) et il y a même un couple de bœufs ! Une multitude de photographes se promènent au milieu de ce regroupement...

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