
Le détroit de Kanmon sépare l’île principale de Honshû à celle de Kyûshû / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon. Située à la pointe occidentale de l’île de Honshû, la cité portuaire a tenu un rôle historique important. En 1146, lorsque l’ambitieux seigneur et noble de la cour Taira no Kiyomori fit construire le somptueux sanctuaire d’Itsukushima sur l’île de Miyajima (voir Zoom Japon n°68, mars 2017), à Hiroshima, il le dédia aux trois déesses de la mer vénérées sur l’île, dans l’espoir d’obtenir leur protection pour son clan. Pendant un temps, cela sembla fonctionner. En 1178, les Taira étaient devenus les souverains impériaux du Japon. Kiyomori fit même proclamer son petit-fils Antoku, âgé de six ans, empereur.Mais d’autres clans commencèrent à en vouloir à Kiyomori d’avoir eu recours à la fraude pour arriver à ses fins. Le clan rival Minamoto, ou Genji, se souleva contre le clan Taira, ou Heike, déclenchant ainsi la première guerre civile du Japon, connue sous le nom de guerre de Genpei. Les Minamoto défirent finalement les Taira lors d’une colossale bataille navale qui a changé l’histoire et à laquelle participèrent environ 1 000 navires à Dan-no-Ura, au large de Shimonoseki, une ville située à la limite occidentale de la mer intérieure de Seto (voir Zoom Japon n°41, juin 2014). Cette bataille marqua le début de 700 années de règne des samouraïs dans tout le Japon.Aujourd’hui encore, les habitants de la région de Shimonoseki affirment que les étranges crabes locaux appelés heike-gani, dont la carapace porte un motif qui ressemble à un visage humain grotesque, sont en fait les réincarnations des guerriers Taira noyés lors des combats. Alignement de canons le long du front de mer dans le parc Mimosusogawa. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Le sanctuaire Akama, un impressionnant bâtiment blanc et rouge, qui surplombe le site de la bataille, est dédié à l’esprit de l’empereur enfant Antoku, qui s’est noyé lors de la bataille, et à tous ceux qui ont péri avec lui. Il y a sept monticules, représentant les guerriers Taira morts à Dan-no-Ura. Vous verrez également la statue de Hôichi le-sans-oreilles (Miminashi Hôichi), joueur de luth aveugle, héros d’une horrible histoire de fantômes traditionnelle popularisée en Occident par Lafcadio Hearn (voir Zoom Japon n°97, février 2021) dans son recueil Fantômes du Japon (1904). Dans ce conte, Hôichi était réputé pour son émouvante ballade épique relatant la saga de la bataille de Dan-no-Ura. On raconte qu’il lui a fallu une semaine pour interpréter l’intégralité de ce morceau, dont la beauté tragique pouvait faire pleurer même les gobelins.Si Dan-no-Ura fut la plus grande bataille de Shimonoseki, la ville connut d’autres incidents avec un impact national, voire international. Shimonoseki est la plus grande ville de la préfecture de Yamaguchi, avec une population de plus de 250 000 habitants. Elle se trouve à l’extrémité ouest de Honshû, la plus grande île du Japon, et n’est séparée de la deuxième plus grande île, Kyûshû, que par le détroit de Kanmon, un canal de 650 mètres de large qui fut une voie maritime très fréquentée pendant des siècles. En tant que porte d’entrée non seulement entre Honshû et Kyûshû, mais aussi avec la Chine, la Corée et d’autres parties de l’Asie, Shimonoseki a longtemps été une importante plaque tournante des transports. Il est encore possible de se rendre en ferry depuis Shimonoseki jusqu’à Pusan (Corée) ou Qingdao (Chine).Étant donné l’importance stratégique du détroit de Kanmon, le port a été le théâtre de plusieurs batailles et de nombreuses querelles politiques pour le contrôle de cette voie d’eau vitale. Quelque sept siècles après Dan-no-Ura, Shimonoseki était un bastion du puissant clan Chôshû. C’était juste avant la restauration Meijiet le changement était dans l’air partout au Japon, après 200 ans d’isolement du reste du monde (voir pp. 4-11). Le sanctuaire Akama est dédié à l’esprit de l’empereur enfant Antoku. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Cependant, certains samouraïs étaient irrités par l’implication croissante des nations occidentales dans les affaires japonaises, et les hommes de Chôshû, stimulés par le cri “Expulsez les barbares”, décidèrent de s’attaquer eux-mêmes à ce problème. Ils ouvrirent le feu sur des navires néerlandais, français et américains dans le détroit de Kanmon, bloquant ainsi le passage. Cela entraîna le bombardement de Shimonoseki par des bâtiments...
