L'heure au Japon

Parution dans le n°151 (juin 2025)

La visite des jardins du Pavillon d'argent figure parmi les premiers souvenirs marquants de Muriel Barbery à Kyôto. / Kan Takahama Nous avons demandé à la romancière Muriel Barbery d'évoquer son expérience dans l'ancienne capitale impériale. Le second roman de Muriel Barbery, L’Elégance du hérisson, dans lequel transparaît un intérêt particulier pour le Japon et sa culture, connaît un succès exceptionnel, dès sa sortie en 2006. Un peu plus tard, la romancière s’installe à Kyôto (voir Zoom Japon n°22, juillet 2012), y séjourne deux ans et depuis y retourne régulièrement. Dans ses deux romans Une rose seule (2020) et Une heure de ferveur (2022), elle fait de nouveau place au Japon et, à travers ses personnages, exprime son attachement à Kyôto. Elle expose à Zoom Japon ce qu’est cette ville pour elle. Ses propos sont illustrés par des dessins de Kan Takahama, tirés de son adaptation en manga du roman Une rose seule publiée simultanément en France chez Rue de Sèvres et au Japon chez Leed-sha en 2024. D’où vient votre intérêt pour le Japon ?Muriel Barbery : Je n’en avais aucun jusqu’à ce que je rencontre mon premier mari qui ne rêvait que d’y aller. Peu à peu, films – de Kurosawa (voir Zoom Japon n°4, octobre 2010), de Mizoguchi mais surtout d’Ozu (voir Zoom Japon n°31, juin 2013) –, livres et expériences culinaires ont ancré en moi le même rêve. De France, tout semblait si différent, si étrange et pourtant si attirant que je me suis prise à désirer faire un jour l’expérience de cette séduisante altérité. Rêve que vous avez réalisé.M. B. : En 2006, aux vacances de Pâques – j’étais alors enseignante –, grâce à la modeste avance consentie par mon éditeur pour mon deuxième roman, L’Elégance du hérisson, qui devait paraître à la rentrée suivante et dont personne n’imaginait encore l’extraordinaire destin. Ensuite, je n’ai eu de cesse d’aller y vivre, ce qui est devenu possible en 2008 grâce au succès du roman. Je suis allée à Kyôto quelques mois avant de résider à la Villa Kujôyama, puis y suis restée une année après la résidence. Pourquoi cette préférence pour Kyôto ?M. B. : C’était une évidence : l’ancienne capitale, forte d’un patrimoine artistique, littéraire et architectural sans égal, célèbre pour ses innombrables temples et jardins, est le creuset de la culture japonaise. Quelle a été votre première impression en arrivant ?M. B. : Le trajet de l’aéroport d’Ôsaka à Kyôto est rude ! La longue zone urbaine saturée de béton et de fils électriques met à mal les fantasmes exotiques et esthétisants nés d’une idéalisation profane du Japon. Mais avec le temps, j’ai appris à aimer jusqu’à la modernité de l’archipel. Quels ont été les moments particulièrement marquants au début de votre séjour ?M. B. : Le lendemain de l’arrivée, après une nuit dans un petit appartement de Gion où il avait fallu se débattre avec la télécommande de la clim, la visite des jardins du Pavillon d’argent et la rencontre avec les deux Japonais chargés de notre accueil, un homme et une femme, qui allaient devenir de grands amis. D’abord le choc de la beauté inouïe de ces jardins qui demeurent parmi mes préférés, ensuite l’apaisement de la crainte que la différence culturelle ne permette pas l’amitié. Le restaurant Omen est fameux pour ses udon et son magnifique décor. / Kan Takahama Quels sont vos lieux préférés et pourquoi ?M. B. : Il y en a tellement ! Kyôto est sans doute la ville que je connais le mieux au monde. Quand j’y reviens, j’y ai des promenades rituelles constituées de temples, de jardins, de restaurants, de maisons de thé et de bars.La première m’emmène invariablement dans le quartier de Higashiyama, où j’ai vécu sur le flanc de la colline de Yoshida qui fait face au Daimon-ji. D’abord une visite au Pavillon d’argent pour l’éblouissement sans cesse renouvelé devant tant de beauté, éblouissement qui ne faiblit pas avec le temps, bien au contraire. Puis un petit pèlerinage sur la tombe de Tanizaki, dans le cimetière au-dessus du Hônen-in, avant d’aller au Shinnyodô puis à Kurodani (deux temples sis respectivement au sommet et au pied d’une colline où j’ai situé une bonne part de l’intrigue de mon sixième roman, Une Heure de ferveur), là où je venais chaque semaine m’immerger dans la sensation de présences invisibles (ici, pas de touristes, ou alors uniquement des touristes Japonais au moment de kôyô-[les couleurs de l’automne, surtout le rouge éclatant des érables]). Un thé et un gâteau au Café de Yoshidasansô, merveilleux ryokan (voir Zoom Japon n°132, juillet 2023) tout de raffinement sans ostentation, avant d’aller dîner soit chez Omen, pour ses udon [nouilles de farine blé] si spécifiques et son beau décor, soit chez Kihara, merveilleux petit restaurant de quartier dont les propriétaires conjuguent excellente cuisine et sens de l’accueil chaleureux, le tout dans un joyeux chaos matériel et décoratif qui dément le préjugé selon lequel le Japon est un pays lisse et aseptisé. Je suis navrée que ma troisième adresse fétiche de quartier,...

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