
Immense réalisateur au Japon, peu connu en dehors de l’archipel, Yamada Yôji méritait bien un numéro spécial. "Lorsque j'étais jeune, je trouvais les films d'Ozu ennuyeux”. La confession de Yamada Yôji est de janvier 2013. A cette date, le cinéaste sortait sur les écrans japonais Tôkyô Kazoku (Tokyo Family, 2013), un remake de Voyage à Tokyo (Tôkyô Monogatari, 1953), dans lequel il rendait un hommage soutenu au maître d'Ofuna, lieu où se situaient les studios de la Shôchiku. Il y fit son entrée en 1954 pour écrire notamment des scénarios pour Nomura Yoshitarô. Satisfait de sa collaboration, ce dernier l'aida à obtenir sa première réalisation en 1961. Nikai no tanin [L'étranger du 1er étage], un moyen-métrage dans lequel on trouve déjà de nombreux éléments caractéristiques de sa filmographie à venir : la famille, l'humour et la vie des petites gens. A l'inverse du cinéma d'Ozu qu'il considère alors comme "petit-bourgeois", Yamada se pose très vite comme le cinéaste du peuple. Pour ce fervent admirateur de Kurosawa Akira dont les films ont donné lieu à la création de héros en relation avec leur époque (le docteur Sanada dans L'Ange ivre, l'inspecteur Murakami dans Chien enragé ou encore le chef de bureau Watanabe dans Vivre), il ne s'agit pas d'aboutir au même résultat, mais d’observer le quotidien à travers l'existence de personnages ordinaires. S'il n'a jamais revendiqué un engagement politique particulier, bien qu'il ait, à l'occasion, soutenu des candidats du Parti communiste, Yamada s'est toujours placé dans le camp du peuple. Shitamachi no taiyô [Le soleil de Shitamachi, 1963], son premier long-métrage, en est l'illustration. Il y raconte le quotidien des quartiers pauvres du vieux Tôkyô. La vie n'y est pas toujours rose, mais il existe une solidarité et une fierté grâce auxquelles les habitants parviennent à sortir la tête de l'eau. Ce film marque sa rencontre avec la jeune actrice Baishô Chieko avec qui il va par la suite tourner à de nombreuses reprises. Shitamachi no taiyô connaît un certain succès tout comme la chanson du générique interprétée par Baishô Chieko qui va devenir un des hits de l'année. Cela conduit Yamada à poursuivre dans cette voie. Dans les titres mêmes de ses réalisations suivantes, on retrouve sa volonté de rester proche du peuple. Les termes baka (idiot), fûraibô (vagabond), fûten (glandeur) figurent souvent dans les productions qu'il dirige tout au long des années 1960. Baka marudashi (L'honnête idiot, 1964) ou encore Natsukashii fûraibô (L'adorable vagabond, 1966) préfigurent ce qui va constituer son œuvre la plus populaire, la série Otoko wa tsuraiyo (C'est dur d'être un homme) dont le premier volet sort en 1969. Constituée de 49 films, cette série a rythmé, à raison de deux sorties annuelles, la vie cinématographique des Japonais jusqu'en 1996, date à laquelle l'acteur principal Atsumi Kiyoshi décède. Ce dernier interprète de Tora-san, personnage un peu paumé, toujours prêt à aider son prochain, faignant, en quête de la femme de sa vie, va devenir l'un des personnages les plus importants du cinéma nippon. "Tora-san, c'est le visage du Japon", affirme la Shôchiku dans ses publicités. Dans un pays en plein bouleversement politique – la fin des années 1960 est marquée par de violentes manifestations étudiantes – et économique – le pays vient de se hisser au troisième rang mondial derrière les Etats-Unis et l'URSS –, l'apparition de Tora-san est une respiration. Il incarne l'esprit du vieux Tôkyô dans lequel chacun peut se retrouver. Chaque film de la série est aussi l'occasion de découvrir une région et le caractère bien trempé de ses habitants, mais les gens se passionnent pour les amours de Tora-san. Ce cœur d'artichaut tombe invariablement amoureux sans jamais parvenir à concrétiser. Les personnages féminins que l'on finit par baptiser affectueusement "madone" sont...
