
Le Genraiken ouvert par le Chinois Ban Kinsei en 1926 est une institution à Kitakata. Après celles de Sapporo et de Hakata, les nouilles de la petite ville sont célèbres dans tout le Japon. Plus d’un siècle s’est écoulé depuis l’apparition des râmen au Japon (voir Zoom Japon n°26, décembre 2012). Lorsqu’un restaurant appelé Rairaiken a ouvert ses portes dans le quartier Asakusa de Tôkyô en 1910 et a commencé à proposer des shina soba (soba de Chine), il s’agissait de l’un des nombreux plats exotiques introduits de l’étranger. La riche combinaison de nouilles et de soupe savoureuse et aromatique s’est lentement répandue dans l’archipel au début de la période Shôwa (1926-1989) grâce à un certain nombre de cuisiniers chinois entreprenants, mais ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les étals vendant des râmen ont commencé à fleurir dans tout le Japon, que le plat a évolué vers ce qui est aujourd’hui considéré comme un plat typiquement japonais. Au cours de ces 20 dernières années, celui-ci a conquis le monde.Fukushima a largement contribué au succès du râmen au Japon, et la ville de Kitakata est le berceau de l’un des trois meilleurs râmen du pays après ceux de Sapporo, à Hokkaidô, et de Hakata à Kyûshû. Située dans le nord-ouest de la préfecture de Fukushima, à côté de la ville-château d’Aizu-Wakamatsu au sud, de la ville de Yonezawa dans la préfecture de Yamagata au nord et de la ville de Niigata à l’ouest, cette ville relativement petite (43 000 habitants en 2022) compte entre 120 et 130 restaurants, ce qui en fait la ville japonaise comptant le plus grand nombre d’établissements de râmen par habitant. Le plat est si populaire que chaque année, plus d’un million de touristes viennent à Kitakata juste pour en manger, et les fans purs et durs sont connus pour multiplier les séances de dégustation dans autant de magasins que possible en deux ou trois jours. Pour 700 yens, ce bol de râmen remplit le ventre. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon L’une des raisons pour lesquelles la région est devenue un tel foyer de production de râmen et, selon de nombreuses personnes, le secret de son succès, est qu’elle bénéficie d’un environnement naturel merveilleux qui est la source de son approvisionnement en eau. En particulier, l’eau pure et délicieuse de la vallée de Tsugamine, qui coule du mont Iide, a été sélectionnée par le ministère de l’Environnement comme l’une des 100 meilleures eaux de l’ère Heisei (1989-2019). Les origines des râmen de Kitakata remontent à Ban Kinsei, un immigrant chinois de 19 ans venu au Japon depuis la province du Zhejiang, au milieu des années 1920, pour retrouver son grand-père, qui travaillait dans une mine de charbon voisine. Il n’a jamais réussi à le retrouver, mais au lieu de retourner en Chine, il a décidé de rester à Kitakata et de se lancer dans la fabrication de râmen. Il a tenu un étal de rue pendant deux ans avant d’ouvrir Genraiken, le premier restaurant de râmen de la ville, en 1926.Il a ensuite vendu la boutique à Hoshi Kinji, un chef japonais qui avait été formé dans le quartier chinois de Yokohama. Aujourd’hui, l’établissement arbore un extérieur tape-à-l’œil (il a été rénové lorsque la route a été élargie il y a cinq ou six ans), mais tout le reste est très ancien et la dimension chinoise est toujours forte. Vous pouvez le constater en consultant son vaste menu qui, contrairement à la plupart des restaurants locaux, va bien au-delà du râmen et comprend plusieurs plats à base de riz.Alors, en quoi consiste le râmen de Kitakata ? Commençons par les nouilles. Lorsque Ban Kinsei a commencé à préparer les Shina soba, il a utilisé la méthode dite ‘Kanmyun’ (la même que celle utilisée au Rairaiken d’Asakusa) qui consiste à étirer les nouilles sur une planche de bois à l’aide d’un bâton de bambou vert, puis à les couper sur mesure avec un couteau. Cette approche artisanale permet d’obtenir des nouilles épaisses, frisées et d’une largeur de quatre millimètres, qui sont la caractéristique principale des râmen de Kitakata. Elles sont également très moelleuses car un pourcentage d’eau plus élevé que d’habitude est ajouté à la farine. Comme l’explique Hoshi, à Kitakata, où il neige abondamment en hiver, il faut beaucoup de temps pour livrer les nouilles, et on ajoute donc plus d’eau pour éviter qu’elles ne s’étirent. “Nous les fabriquons au milieu de la nuit en utilisant de la farine de blé domestique et de la fécule de pomme de terre. Nous les laissons reposer longtemps, ce qui leur donne une texture unique, ferme mais lisse, qui se mélange bien avec la soupe”, explique-t-il. Ensuite, vient la soupe. A Kitakata, on la prépare à partir d’os de porc et de poulet noirs, de sardines séchées, d’algues kombu, de champignons shiitake et de légumes pendant environ huit heures. La soupe d’os de porc et la soupe de sardines séchées sont préparées séparément et mélangées une fois la commande passée. En dehors des râmen, la petite cité est célèbre pour abriter de magnifiques kura (entrepôts). / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Au Genraiken, une bonne façon de découvrir le style classique de Kitakata est de commander leur râmen de base à la sauce soja (700 yens). Il contient environ 160 grammes de nouilles. Si vous avez particulièrement faim, demandez un ômori (grande portion) et pour 200 yens de plus, vous obtiendrez deux fois plus de nouilles. Le râmen standard est accompagné des garnitures habituelles : châshû (porc rôti en fines tranches), oignons verts, une tranche colorée de naruto (pâté de poisson roulé) pour la décoration, et menma (pousses de bambou fermentées). Ce dernier ingrédient est vraiment délicieux. Les pousses de bambou séchées sont ramollies pendant 3 jours, bouillies pour enlever l’odeur du bambou, et assaisonnées. Même à Kitakata, il n’y a pas beaucoup de magasins qui font du menma selon la tradition. Au Japon, vous le trouverez flottant sur les nouilles, tandis qu’en Chine et à Taïwan, il est généralement servi dans une assiette séparée, comme une sorte de plat d’accompagnement.Les Japonais mangent souvent des gyôza (raviolis grillés) avec leurs râmen, et au Genraiken, même ces raviolis sont faits à la main, jusqu’au mince morceau de pâte dans lequel la viande hachée et la garniture de légumes sont enveloppées. Selon Hoshi, c’est cette insistance à tout faire à la main qui l’empêche d’ouvrir une succursale.Bien que Ban Kinsei, le fondateur de Genraiken, ait connu beaucoup de succès, il n’a pas...
