L'heure au Japon

Parution dans le n°148 (mars 2025)

Kita Mayuko a repris la brasserie familiale en 2015 et en est devenue le maître brasseur (tôji). / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Lorsqu'elle a pris la succession de son père, Kita Mayuko a voulu préserver la tradition plutôt que la bouleverser. S’étendant entre le lac Biwa et la préfecture de Mie, Higashi-Ômi est une municipalité rurale dont l’économie est centrée sur l’agriculture et l’industrie légère. Elle est traversée par la Happu Kaidô, une ancienne route qui servait autrefois de raccourci pour relier la baie d’Ise au lac Biwa et au bassin d’Ômi. La brasserie Kita se trouve le long de cette route. A l’époque d’Edo (1603-1868), cette région était une ville de relais, et le bâtiment principal de la brasserie a plus de 100 ans. En 2020, Kita Shuzô, comme on l’appelle en japonais, a ainsi célébré son 200e anniversaire.J’ai dû me lever tôt pour voir les brasseurs à l’œuvre. Quand j’arrive, vers 8 heures, le riz a déjà été cuit à la vapeur dans les cuiseurs, et la préparation du saké Biwako no Natsu commence sous la direction de Kita Mayuko. Tout d’abord, le riz cuit à la vapeur est mis dans la machine de refroidissement. Ensuite, il est transporté vers la cuve de préparation sur une plateforme à poulies.Seule Kita-san, qui est chargée de fabriquer le kôji (un type de moisissure utilisé comme ferment dans la production de nombreux aliments et boissons traditionnels, tels que le saké, la sauce soja, le miso et le mirin), est autorisée à étaler le riz cuit à la main. Elle accomplit cette tâche en silence, en saupoudrant le kôji et en veillant à ce qu’il adhère uniformément au riz. De cette façon, la saveur profonde du kôji se répand doucement tout en transformant l’amidon du riz en sucre, tandis que la levure transforme ensuite ce sucre en alcool pour fabriquer le saké.Mayuko est la neuvième génération de brasseurs en chef de la famille Kita. En tant que femme, elle est également une sorte de rareté. Elle a obtenu son diplôme de la faculté d’économie de la prestigieuse université Dôshisha de Kyôto en 2011 et a rejoint Mizkan Holdings Co., Ltd. Elle a quitté l’entreprise en 2015 pour travailler à plein temps dans la brasserie familiale.Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a décidé de se lancer dans ce métier difficile et physiquement exigeant, Mayuko se remémore des souvenirs d’enfance. “Même à cet âge précoce, j’ai vu mon père discuter de la fabrication du saké avec le maître brasseur, et j’ai trouvé ça très amusant. La brasserie était pour moi un lieu sacré, différent de tout autre endroit. C’était très calme à l’intérieur, comme une église. Ce n’est pas un bâtiment brillant et propre, mais on a l’impression qu’il se passe quelque chose de spécial là-bas. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours pensé qu’il était important de préserver un tel endroit”, assure-t-elle.Elle a décidé de reprendre la brasserie alors qu’elle était encore au collège. “C’est étrange, n’est-ce pas ? J’étais trop jeune pour boire de l’alcool à l’époque, et pourtant je pensais que quelqu’un devait reprendre et protéger ce lieu sacré. Mon père ne m’a jamais demandé de reprendre la brasserie, mais il a fait tout ce qu’il pouvait pour faciliter mon intégration dans cet environnement, par exemple en m’aidant à établir de bonnes relations avec l’ancien maître brasseur (tôji) et les riziculteurs.”Même aujourd’hui, la fabrication du saké reste un monde éminemment masculin, mais lorsque Mayuko a rejoint l’entreprise familiale, il y avait encore moins de femmes. “Il fut un temps, environ deux générations avant moi, où les gens pensaient que les femmes ne devraient même pas être autorisées à entrer dans une brasserie. Ma grand-mère, par exemple, était la présidente de...

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