Grâce à Mishima Yukio vs. Tôdai Zenkyôtô, 50 nenme no shinjitsu sorti au printemps, Toyoshima Keisuke a permis de redécouvrir l’auteur du Pavillon d’or. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Le cinéaste Toyoshima Keisuke a sorti au printemps un remarquable documentaire sur le dernier débat de Mishima Yukio. Dans la mobilisation étudiante contre les autorités scolaires et le gouvernement, les Zenkyôtô étaient des organisations étudiantes formées indépendamment dans chaque université. Parmi elles, le Zenkyôtô de l’université de Nihon (Nichidai) et celui de l’université de Tôkyô (Tôdai) étaient les plus connus. Le 13 mai 1969, les membres du Zenkyôtô de Tôdai ont invité Mishima Yukio à participer à un débat pour discuter de leurs approches différentes concernant la politique et la société. La rencontre s’est déroulée salle 900 sur le campus Komaba de l’université de Tôkyô.Le réalisateur et scénariste Toyoshima Keisuke a réalisé le documentaire Mishima Yukio vs. Tôdai Zenkyôtô, 50 nenme no shinjitsu [Mishima Yukio face au Zenkyôtô de Tôdai, 50 ans après] sur cet événement. Diplômé de cette même prestigieuse université, il a ensuite étudié le cinéma à l’American Film Institute de Los Angeles. Après son retour au Japon en 1999, il a commencé à écrire des scénarios pour des réalisateurs tels que Nakahara Shun et Shinohara Tetsuo, et en 2004, il a fait ses débuts en participant à Kaidan Shin Mimibukuro (Tales of Terror), une série de courts-métrages d’horreur et d’épouvante. Comment en êtes-vous venu à travailler sur ce film ?Toyoshima Keisuke : TBS est l’une des principales chaînes de télévision privées du pays. Elle a trouvé dans ses archives un enregistrement de deux heures du débat, et après l’avoir restauré en vidéo haute définition, deux producteurs ont décidé d’en faire un film. J’avais déjà travaillé sur un feuilleton télévisé avec l’un d’eux. Etant, comme moi, diplômé de Tôdai, il a proposé mon nom lorsqu’il a fallu choisir un réalisateur. Il s’agit de votre premier documentaire, n'est-ce pas ?T. K. : Oui, c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai d’abord hésité à me lancer dans ce projet. Tout d’abord, je suis plutôt habitué à faire des œuvres de genre comme des films d’horreur et des comédies. Par ailleurs, pour moi qui ai étudié l’histoire du cinéma japonais, un documentaire est un projet à long terme dans lequel l’équipe s'intègre dans l’environnement particulier qu’elle couvre – que ce soit un village rural ou une certaine communauté – en partageant la vie quotidienne et les luttes de ces gens. En d’autres termes, j’avais à l’esprit le travail d’Ogawa Productions dans les années 1960 et 1970 [voir Zoom Japon nº79, avril 2018]. Cependant, ce film est complètement différent parce que les événements concernés se sont produits il y a 50 ans, et que la seule chose à faire était de retrouver certains des protagonistes survivants et de les interviewer, en essayant de comprendre ce que ces années avaient signifié pour eux. C’est ce que j’ai entrepris de faire, en gardant l’esprit aussi ouvert que possible. En définitive, nous avons utilisé environ 45 minutes du débat initial. Le reste du documentaire est constitué d’images d’archives et d’entretiens que j’ai menés avec certains des protagonistes, ceux qui ont assisté au débat ou qui connaissaient intimement Mishima Yukio, et quelques personnes plus jeunes (universitaires, auteurs) qui connaissent très bien cette période. Ces entretiens ont d’ailleurs fini par modifier mon approche de l’ensemble du projet. Au début, je voulais simplement expliquer ce qui s’était passé le 13 mai 1969 et essayer de comprendre qui était vraiment l’écrivain. Cependant, plus je parlais avec les témoins – surtout les contemporains de Mishima – plus je me rendais compte que mon film portait aussi sur eux. En d’autres termes, on en vient à comprendre à quel point leur relation avec lui, ou même le simple fait d’avoir assisté au débat, a changé leur vie ; à quel point ils ont été touchés par lui. Quand vous avez commencé à travailler sur ce projet, que saviez-vous de Mishima et de cet événement en particulier ?T. K. : Pas grand-chose. Je dois avouer que j'ai été assez surpris par l'offre de TBS car je suis né un an après la mort de l’écrivain et je n’avais jamais été intéressé par lui ou ses livres. Dans un certain sens, j’étais la personne la moins apte à aborder un tel sujet. Mais finalement, mon ignorance s’est avérée être une bonne chose, car je n’avais aucune idée préconçue et je n’avais aucun préjugé, ni pour ni contre Mishima. Vous êtes diplômé de la même université où Mishima a rencontré les membres de Zenkyôtô ; le même endroit où ont eu lieu certains des affrontements les plus durs entre les manifestants et la police à la fin des années 1960. Comment était l'atmosphère à Tôdai lorsque vous y étiez ?T. K. : Je suis né en 1971. Je suis donc entré à Tôdai, environ 20 ans après les faits. Les choses avaient complètement changé. Le mouvement étudiant qui avait essayé de changer le monde avait disparu, et avait été remplacé par la génération dite des “shirake”, c'est-à-dire une nouvelle génération de jeunes politiquement apathiques. On peut dire que la seule chose que les révolutionnaires des années 1960 avaient laissée était l’idée que quoi que l’on fasse, les choses ne pouvaient pas être changées, alors pourquoi s’en donner la peine. Au Japon, cette attitude à l’égard des questions sociales est devenue encore plus forte dans les années 1980 avec l’économie de la bulle, lorsque tout le monde semblait embrasser un hédonisme débridé. Le pays menaçait de détrôner les Etats-Unis en tant que première économie mondiale, et les choses se présentaient extrêmement bien pour les gens aussi, avec plus d’argent pour tout le monde et la possibilité de profiter enfin de la vie après des années de dur labeur et de sacrifice. Dans de telles conditions, vous perdez toute motivation pour vous rebeller et vous battre dans les rues. Je faisais partie de cette société. Nous aimions la culture pop et quand nous allions au cinéma, nous regardions Retour vers le futur, Les Gremlins et Godzilla. Notre rêve n'était pas de changer le monde, mais d’atteindre une certaine dose de bonheur personnel. Pour revenir à votre question, j’ai étudié les arts à Tôdai, donc j’ai fréquenté le petit campus de Komaba dans la banlieue de Tôkyô. C’est là que se trouve la salle 900 – le fameux endroit où Mishima a rencontré les étudiants. En fait, pendant tout le temps que j’ai passé à Komaba, je n’ai rien su parce que personne n'en parlait. Ce n'est que beaucoup plus tard, après avoir obtenu mon diplôme, que je l’ai découvert....