
Le célèbre masseur aveugle aussi agile avec ses doigts qu’avec son sabre revient en France grâce au travail acharné de Roboto Films.
Sorti chez Wild Side, il y a près de 20 ans, le premier coffret consacré à la série cinématographique Zatôichi faisait partie de ces objets, comme les volumes de Kamui-den, le manga de Shirato Sanpei, presque introuvables que des vendeurs bien attentionnés sur Internet proposaient à des prix astronomiques dépassant souvent les 600 euros. Si l’œuvre du mangaka, du moins dans sa version française, reste inaccessible pour le commun des mortels, les longs-métrages mettant en scène le célèbre masseur aveugle sont à nouveau disponibles en France grâce à Roboto Films. La société du nord de la France, dont il faut saluer la politique éditoriale fondée sur une vision cinéphilique et patrimoniale, a en effet entrepris de redonner vie aux aventures de Zatôichi. Mais à la différence de Wild Side, l’éditeur a choisi de publier l’intégralité de la série avec un premier coffret qui comprend 4 films inédits sur les 5 présentés. Pour 79 euros, vous ne regretterez pas cet achat d’autant que l’objet en tant que tel est magnifique.
Le seul film bien connu de la série est celui réalisé par Misumi Kenji qui a bénéficié d’une ressortie en salles cet automne. Grâce à sa mise scène spectaculaire, La Légende de Zatoichi – Le Masseur aveugle (Zatôichi monogatari, 1962) a permis d’asseoir le personnage interprété par Katsu Shintarô et de mettre en branle une série de 26 films qui s’achèvera en 1989. Mais l’intérêt du coffret livré par Roboto Films est de proposer en ouverture un inédit, Les Origines de Zatoichi – Le Bandit aveugle (Shiranui kengyô, 1960) dirigé par Mori Kazuo dans lequel Katsu Shintarô est Suginoichi, un aveugle prêt à tout pour conquérir le pouvoir. Si le personnage n’a pas grand-chose à voir avec Zatôichi, dont le comportement est plus proche d’un Robin des bois, il permet de voir comment l’acteur se glisse parfaitement dans la peau d’un sabreur hors pair et d’un filou capable de ruser tous ceux qui l’entourent. Lorsqu’on voit pour la première fois ce long-métrage et qu’on a entendu parler du masseur, cela peut décontenancer. Toutefois, on comprend la logique de Roboto qui, à la manière d’un éditeur littéraire, a choisi de travailler en profondeur afin de donner au spectateur un ensemble cohérent à l’ensemble de la série dont il entend présenter tous les films.
Cette logique apparaît évidente dès le troisième film du coffret La Légende de Zatoichi – Le Secret (Zoku Zatôichi monogatari, 1962) puisque sa réalisation est assurée par Mori Kazuo qui avait dirigé Katsu Shintarô dans Le Bandit aveugle. Ce long-métrage pourrait être considéré comme le véritable premier de la série dans la mesure où à la différence de celui réalisé par Misumi Kenji le personnage du masseur, redresseur de torts, prend le dessus sur la mise en scène donnant cette cohérence à l’ensemble, laquelle sera conservée tout au long des années suivantes malgré les changements de réalisateurs. D’une certaine façon, l’acteur façonne son personnage et lui donne cet attrait que les spectateurs apprécieront et les divers cinéastes lui permettront d’exprimer. Au fond, ce qui est appréciable dans cette série, c’est le côté facétieux et la gouaille du personnage interprété avec dextérité par Katsu Shintarô qui s’est révélé au grand public dans Le Bandit aveugle après des débuts peu convaincants. On comprend dès lors pourquoi la série va prendre une dimension presque personnelle autour de l’acteur alors que les réalisateurs changeront au fil des années et tenteront d’imprimer leur marque sans pour autant réussir à bouleverser les codes établis par le premier rôle.
Sans que cela soit d’une évidence flagrante, on sent dans le troisième volet, le premier en couleurs, intitulé en français La Légende de Zatoichi – Le Secret, mais dont le titre japonais plus explicite Shin Zatôichi monogatari (1963) peut être traduit par « La Nouvelle histoire de Zatôichi », que le réalisateur Tanaka Tokuzô veut donner plus d’épaisseur au personnage principal. Il explore plus en profondeur ses origines et établit de façon plus évidente l’idée que le masseur deviendra un rendez-vous pour ses admirateurs qui seront nombreux tant au Japon qu’en Asie où le film sera distribué massivement et exercera une influence sur des productions locales ultérieures. Le fait que le quatrième film de la série, le cinquième du coffret (si vous avez bien suivi), ait été réalisé par le même Tanaka Tokuzô souligne la stratégie voulue par la Daiei qui voulait établir une franchise rentable. Pourtant, La Légende de Zatoichi – Le Fugitif (Zatôichi kyôjô tabi, 1963) est un peu déconcertant dans la mesure où il s’agit du premier film de la série qui n’a aucun lien narratif avec les quatre premiers. Mais ce qui compte, c’est que Katsu Shintarô assure magistralement son rôle, notamment lors de quelques scènes de combat parfaitement menées.
Ce premier coffret Zatoichi édité par Roboto Films tient toutes ses promesses car il est accompagné de plusieurs bonus intéressants. Il faut d’ailleurs saluer le travail d’édition effectué par l’éditeur qui ne se contente pas de sortir des coffrets pour la beauté du geste, mais pour mettre en évidence des pans du cinéma japonais encore méconnus du grand public. Il est intéressant de noter que dans l’argumentaire de Roboto Films, la sortie de ce coffret participe de sa volonté de continuer « [son] travail de réhabilitation de Tokuzo Tanaka, le grand oublié des réalisateurs japonais ». En effet, l’entreprise a sorti, cette année, son magnifique The Whale God (Kujiragami, 1962) tourné avec… Katsu Shintarô. Si vous avez déjà choisi votre cadeau de Noël, le coffret Zatoichi, les années Daiei, volume 1 sera parfait pour les étrennes. Vous ne le regretterez pas.
Odaira Namihei
Référence
Zatoichi, les années Daiei, volume 1, Roboto Films, 2025, 79 €.
https://roboto-films.fr