Que l’on soit ou non amateur du chat robot imaginé par Fujimoto Hiroshi, une visite s’impose au musée qui lui rend hommage.
Rendre hommage à l’un des plus grands noms de la bande dessinée japonaise. Telle était l’ambition des promoteurs du Musée Fujiko F. Fujio qui a ouvert ses portes le 3 septembre dernier à Kawasaki, au sud de la capitale. Si pour une majorité de Français le nom de Fujiko F. Fujio n’évoque pas grand chose, au Japon, il figure parmi les auteurs les plus respectés et les plus appréciés. Sa renommée a largement dépassé les frontières de l’archipel pour gagner l’ensemble de l’Asie où son personnage le plus célèbre Doraemon, le chat robot bleu sans oreilles, est devenu le compagnon de lecture de millions de jeunes et de moins jeunes. Editées en France par Kana, les aventures de Dorameon n’ont pas enregistré le succès qu’on aurait pu escompter. Il n’empêche qu’il est intéressant de plonger dans l’univers de Fujiko F. Fujio, en se rendant dans ce musée qui met en perspective son travail et permet à ceux qui ne le connaîtraient pas de se familiariser avec son œuvre. La municipalité de Kawasaki a mobilisé de gros moyens pour mettre sur pied cet établissement qui bénéficie également du soutien de Fujiko Pro, la société représentant les intérêts du mangaka. Implanté dans le quartier de Tama à proximité de la maison où le dessinateur a vécu jusqu’à sa mort en 1996, le musée a justement pour vocation de permettre aux visiteurs de découvrir à la fois son espace de travail et de rappeler l’importance de son immense œuvre dans la culture populaire japonaise de l’après-guerre. Le musée dispose d’un stock impressionnant de quelque 50 000 dessins originaux que la veuve du mangaka a donnés et dans lequel il entend bien piocher au fil des années. La salle d’exposition implantée juste après l’entrée est assez vaste. Elle permet de mettre en évidence environ 150 dessins qui permettent aux visiteurs de découvrir le processus créatif de Fujimoto Hiroshi alias Fujiko F. Fujio. Des écrans vidéo diffusent également des courts métrages qui détaillent la façon dont travaillait le créateur de Doraemon.
L’omniprésence du chat bleu dans le musée souligne la place de choix qu’il occupe dans la mémoire collective japonaise. Apparu pour la première fois en 1969 dans des revues éducatives éditées par Shôgakukan, Doraemon s’est rapidement imposé comme un personnage incontournable. Créé initialement par Fujimoto Hiroshi et Abiko Motoo, le chat robot a connu la célébrité, car il a su séduire un public très large. Les enfants comme les adultes sont tombés amoureux de ce gros matou (plus de 140 kg) avec sa large bouche, sa clochette autour du cou et son moteur nucléaire dans la poitrine. Fujimoto Hiroshi est devenu Fujiko F. Fujio après la séparation du duo de dessinateurs en 1987 qui avaient une vision différente de l’avenir du héros préféré des Japonais. Véritable poule aux œufs d’or, Doraemon, c’est d’abord un manga qui s’est vendu à plusieurs centaines de millions d’exemplaires dans l’archipel. Au total, 45 volumes ont été publiés entre 1974 et 1996, date de la disparition du mangaka. Mais c’est surtout la série animée qui a permis de conquérir les cœurs. TV Asahi diffuse depuis avril 1979 les aventures de Doraemon pour le plus grand plaisir des fans qui se retrouvent dans les mésaventures de Nobi Nobita, le garçon que le chat bleu est venu aider pour éviter qu’il ne s’endette trop. En provenance directe du futur, Doraemon ne manque pas de ressources pour sortir son compagnon de situations parfois compliquées qui sont toutes liées à la vie d’un jeune adolescent ordinaire. Nobita ne manque pas de rivaux comme Gôda Takeshi ou Honekawa Suneo qui passent leur temps à lui chercher des noises. Mais Doraemon et ses gadgets finissent toujours par sortir le garçon de ses problèmes. Au second étage du musée, une salle de projection de 100 places diffusent des films originaux qui permettent aux visiteurs de s’immerger une nouvelle fois dans les histoires imaginées par Fujiko F. Fujio. Ils sont nombreux à vouloir le faire même s’ils peuvent voir régulièrement les protagonistes de Doraemon à la télévision ou au cinéma. Ces derniers ont fait leur apparition dans les salles obscures en 1980, faisant du chat robot une institution nationale au même titre qu’Astro, le petit robot de Tezuka Osamu. Une fois par an, au mois de mars, c’est-à-dire au moment des vacances de printemps, un long métrage sort sur les grands écrans de l’archipel et attire des millions de spectateurs qui ne se lassent pas de partager les aventures de Doraemon et Nobita.
Le musée propose aux visiteurs de découvrir la table de travail du mangaka sur laquelle traînent des objets dont il s’inspirait pour écrire ses histoires ainsi que des livres et revues. On dit d’ailleurs qu’il est décédé alors qu’il préparait une nouvelle aventure de son personnage fétiche. En s’approchant et en levant la tête, on aperçoit un conduit de plus de huit mètres de haut que les concepteurs du musée ont aménagé comme la bibliothèque de Fujiko F. Fujio. C’est assez étonnant de découvrir la passion que le dessinateur avait pour les livres et les objets, notamment ceux se rapportant à La Guerre des étoiles dont il était fan. En septembre 1978, quelques semaines après la sortie de l’Episode IV dans les salles japonaises, il en avait réalisé une parodie dans laquelle Nobita et Doraemon occupaient une place de choix. Voilà ce qui est appréciable dans ce musée qui aurait pu se contenter d’être une sorte de parc d’attraction. On y apprend beaucoup sur l’auteur, sur ses passions et ce qui l’a conduit à créer un personnage dont l’une des caractéristiques est d’avoir réussi à se faire aimer des grands et des petits. Fujiko F. Fujio estimait que Doraemon était en mesure de combler les aspirations de tous. “Les adultes comme les enfants ont des rêves qu’ils voudraient réaliser. Même s’ils se manifestent de façon différente chez les uns et chez les autres, ils ont de nombreux points communs. On peut souhaiter que quelque chose arrive, on peut espérer devenir plus fort, plus intelligent ou on peut encore rêver d’une vie meilleure. Dans la plupart des cas, on retrouve l’expression de ces envies et leur concrétisation dans mes mangas”, expliquait-il pour justifier la popularité de ces personnages.
Ce qui distingue l’univers de Doraemon de nombreux autres héros du manga, c’est son extrême gentillesse et son optimisme à toutes épreuves. Les petits sont très sensibles à cet aspect des choses à l’instar de leurs parents qui doivent affronter dans leur quotidien des situations souvent dures. Les concepteurs du musée ont retenu la leçon et créé un espace dans lequel le visiteur se sent bien. Les couleurs pastels, notamment le bleu, donnent à l’ensemble une sérénité et incite les visiteurs à déambuler tranquillement dans les différentes salles qui ont été aménagées. Evidemment, les enfants, principaux fans du gros matou bleu, sont privilégiés avec une belle salle de jeux où un Doraemon souriant les accueille dans un décor qui rappelle un nuage. Des reproductions des personnages sont partout présentes dans le musée et même sur le toit où trônent des statues de Pisuke, le dinosaure que l’on retrouve dans plusieurs histoires, ou encore de Gôda Takeshi, celui qui est toujours prêt à jouer des mauvais tours à Nobita. La rencontre successive avec tous ces êtres sortis de l’imagination de Fujiko F. Fujio les rend peu à peu familiers. On finit par se dire qu’ils ont toujours fait partie de notre mémoire même si, pour certains, c’est la première fois qu’on les rencontre. Ils réveillent notamment chez les plus âgés des souvenirs d’enfance. Le mangaka a en effet réussi à créer le lien entre le monde des enfants et celui des adultes. “Vous ne pouvez pas réaliser des histoires pour les enfants en partant du point de vue des adultes. Vous devez créer quelque chose qui vous fait plaisir et que les enfants saisiront en tant que tel. En un certain sens, je pense qu’il y a en moi une part d’enfant qui refuse de grandir. Je suis particulièrement chanceux car ils apprécient ce que j’aime dessiner”, ajoutait le créateur de Doraemon.
Un autre point fort de ce musée, c’est évidemment de mettre l’accent sur le travail du mangaka. “La profession est souvent perçue comme quelque chose de formidable, mais c’est un métier très instable. Quand ce que vous réalisez ne se vend pas, vous ne percevez aucun revenu. Quand ça marche, vous n’avez pas le temps de dépenser votre argent. Et quand vos revenus sont conséquents, les impôts vous en prennent une grande partie. En définitive, ce n’est pas le genre de profession qu’un mangaka voudrait que ses enfants choisissent”, avait un jour déclaré Fujiko F. Fujio. Il n’empêche que ce fut pour lui une passion que le musée restitue très bien. Grâce aux technologies numériques, on peut suivre étape par étape son travail créatif avec l’intervention animée de ses héros. Il y en a donc pour tous les goûts, pour tous les âges et aussi pour toutes les bourses. Bien entendu, un musée de cet acabit ne pouvait pas décemment être ouvert sans une boutique digne de ce nom. On y trouve tous les gadgets possibles et imaginables qui raviront tous les publics. Il y a également une cafétéria où même les plats et les boissons servis sont en lien avec Doraemon, Nobita et les autres. Pour profiter de ce magnifique lieu, il vous faudra acheter vos billets à l’avance, car les promoteurs du musée souhaitent que les visiteurs ne se bousculent pas, en limitant à 500 le nombre de personnes présentes en même temps dans le lieu. Pour y parvenir, le musée ouvre ses portes seulement quatre fois par jour à ceux qui auront réservé leur place. A bon entendeur, salut !
Gabriel Bernard
S’y rendre :
Musée Fujiko F. Fujio 2-8-1 Nagao, Tama-ku, 214-0023 Kawasaki. Tél. 0570-055-245
www.fujiko-museum.com
Entrée : 1000 yens, 500 yens pour les enfants. Billets en vente le 30 de chaque mois dans les supérettes Lawson. Ouvert à 10h, 12h, 14h et 16h.
A 15 mn de la gare Shuku-Gawara (ligne JR Nambu).