Dans ce quartier devenu le rendez-vous des amateurs de culture populaire, un hommage est rendu à l’un de ses plus dignes représentants.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le quartier d’Akihabara, situé au nord de la gare de Tôkyô, s’est imposé comme La Mecque des bricoleurs passionnés d’électricité puis d’électronique. Dans les nombreuses petites rues qui entourent la gare desservie par la ligne Yamanote, qui fait le tour de la capitale, on trouvait des dizaines de boutiques qui vendaient des composants, du fil, voire des circuits imprimés pour le plus grand bonheur des apprentis électroniciens. On le désignait alors sous le sobriquet de Ville électrique (denkigai). Le fait qu’on y vendait des ordinateurs, des consoles de jeux ou encore des téléviseurs qui sont autant de vecteurs de la culture populaire nippone explique peut-être pourquoi au tournant du XXIème siècle le quartier est peu à peu devenu le centre de ce qu’on appelle la culture otaku. C’est à partir de cette période que les magasins spécialisés dans l’univers des manga et des dessins animés se sont implantés, contribuant à attirer une population nouvelle plus intéressée par le contenu que par le contenant. A la même époque, le Japon découvre que sa production culturelle de masse (manga, anime) constitue un extraordinaire moyen de promotion sur les marchés extérieurs. Les films de Miyazaki raflent des prix prestigieux, les éditeurs étrangers se ruent sur les manga et les jeux vidéo made in Japan se vendent comme des petits pains partout dans le monde. La culture otaku devient une référence et Akihabara son principal centre. Il n’est donc pas étonnant que les responsables de la Digital Hollywood University (Dijitaru Hariuddo Daigaku) aient décidé d’implanter une partie de leur campus dans ce quartier symbolique. Cette école, qui forme de futurs producteurs de contenus numériques, a ouvert ses portes en 2005, adoptant un statut bien différent des autres centres de formation au Japon qui correspond parfaitement à l’état d’esprit d’un quartier peu conformiste. Si Akihabara regorge de bars comme partout ailleurs dans la capitale, bon nombre d’entre eux se distinguent par la tenue de son personnel. Les serveuses déguisées en soubrette assurent ainsi le succès des Maid Café (Meido Kafe) comme Hiyokoya, Pinafore ou encore Little BSD. Ces lieux permettent à ceux qui apprécient le Cosplay, très en vogue à Akihabara, de prolonger le plaisir autour d’une boisson servie par une jeune femme vêtue de dentelles et d’une robe noire. Chaque semaine, des rencontres de Cosplay sont organisées, laissant aux fans de personnages issus des univers virtuels la liberté de s’habiller comme eux. C’est dans ce quartier qu’est né le terme moe qui fait désormais partie du vocabulaire courant. “La culture otaku, qui rassemblait des personnes ‘ne faisant des choses qui n’intéressaient personne d’autres qu’elles’, n’a guère suscité d’intérêt jusqu’au milieu des années 1990, se souvient Momoi Haruko qui fut l’une des figures d’Akihabara. J’étais alors l’une des rares à utiliser le terme ‘moe’ à la télévision pour exprimer mon attachement à telle ou telle chose [en japonais, le verbe moeru signifie bourgeonner. Dans le langage jeune, il signifie aimer, adorer un personnage de jeu vidéo. Par extension, « moe » désigne la passion que l’on manifeste à l’égard d’objets ou de personnages]. Mais, aujourd’hui, la culture otaku est devenue un genre standardisé dans lequel on englobe tous ceux qui s’intéressent aux dessins animés ou aux personnages issus des jeux vidéo et des mangas. La minorité otaku n’est plus et c’est bien dommage. Néanmoins je ne regrette pas de voir la distance se réduire entre les individus qui forment notre société.” D’ailleurs, les adolescents sont loin d’être les seuls à fréquenter les lieux. On rencontre beaucoup de trentenaires ou quadra, salariés pour la plupart, qui se retrouvent à Akihabara pour fréquenter les bars branchés ou assister aux spectacles du groupe AKB 48 qui se produit au 7ème étage de l’immeuble Don Quijote Akihabara. Les jeunes chanteuses au physique attrayant attirent surtout un public masculin. Ceux qui ne succombent ni au charme de ces artistes en mini-jupe ni à leur musique mièvre peuvent aller traîner dans les boutiques spécialisées où ils pourront assouvir leur passion pour les robots ou les figurines. Tsukumo ou encore Kaiyôdô figurent parmi les plus populaires. Bandai, le fabricant de jouets et producteur de jeux vidéo, a ouvert fin avril 2010 son Gundam Café. Situé à quelques mètres de la sortie de la gare d’Akihabara, ce nouvel établissement est la première incursion de Bandai dans le secteur de la restauration. Toutefois, le choix du quartier et le fait que le café soit entièrement décoré avec des reproductions de robots (grande spécialité de l’entreprise) lui a permis de séduire le public japonais très friand de ces engins et les touristes étrangers de plus en plus nombreux dans ce quartier à la mode.
Haut lieu de la “branchitude”, il n’était donc pas étonnant qu’une grande exposition consacrée à l’un des grands maîtres du manga et de l’anime y soit organisée. Ôtomo Katsuhiro, connu mondialement pour son chef-d’œuvre Akira, est en effet la vedette d’une très belle exposition organisée à la Galerie 3331 Arts Chiyoda jusqu’au 30 mai prochain. C’est d’ailleurs Akira qui est au cœur de cet événement puisque quelque 2300 dessins sont issus du manga dont on célèbre cette année le trentième anniversaire. Le mangaka a sorti de ses cartons des centaines d’images grâce auxquelles le visiteur voit de quelle manière les personnages et l’histoire sont sortis de l’imagination d’Ôtomo. Mais ce n’est pas tout, on peut aussi voir, en vrai, la fameuse moto de Kaneda, le héros d’Akira. Malgré un espace limité, les promoteurs de cette exposition ont réussi à l’agencer de façon optimale, permettant à chacun de prendre le temps d’admirer le travail de précision du maître Ôtomo. Au travers des dessins exposés, on découvre l’incroyable talent de cet homme qui a, d’une certaine manière, redessiné la ville, en imaginant un néo-Tôkyô détruit par une explosion nucléaire qui finira par renaître de ses cendres. Il est rare d’avoir sous les yeux un tel matériel qui souligne à la fois l’etendue du travail accompli, mais aussi l’incroyable complexité de ce manga qui reste encore aujourd’hui inégalé. Pour accompagner cette merveilleuse exposition un catalogue non moins formidable a été édité. Il ne reprend pas évidemment toutes les œuvres exposées, mais il a le mérite de les mettre en perspective. C’est évidemment un achat que l’on recommande malgré son prix relativement élevé (5 040 yens). Néanmoins, c’est un excellent souvenir à rapporter dans ses bagages. Après avoir profité de cette belle parenthèse, vous pourrez reprendre l’exploration de ce quartier haut en couleurs, car à Akihabara, il y en a pour tous les goûts.
Gabriel Bernard
S’y rendre :
Akihabara est très facile d’accès. Il suffit d’emprunter la ligne JR Yamanote et de descendre à la gare d’Akihabara, deuxième arrêt après la gare de Tôkyô. www.akiba.or.jp
Exposition :
Ôtomo Katsuhiro Genga, 6-11-14 Sotokanda, Chiyoda-ku, Tôkyô 101-0021. Tous les jours de 11 h 30 (10 h 30 le week-end) à 20 h. A environ 8 mn de la gare d’Akihabara (sortie Denkigai). Emprunter la Chûô dôri, puis la deuxième rue à gauche. Les billets s’achètent à l’avance dans les supérettes Lawson (1500 yens, 800 yens pour les étudiants).
Une série révolutionnaire :
C’est en décembre 1982 que Ôtomo Katsuhiro publie le premier épisode de sa série Akira [31 volumes, éd. Glénat, 1990-1992] dans les colonnes de Young Magazine. Il ne s’agit pas de sa première œuvre puisqu’il a commencé en 1977 avec Sayonara Nippon [Au revoir Japon] qui raconte les aventures de karateka japonais à New York. Mais Akira marque un véritable tournant dans la carrière du dessinateur, mais aussi et surtout dans l’histoire du manga. Ôtomo impose un nouveau style qui va influencer de très nombreux auteurs dans les années suivantes. Jusque-là largement dominée par l’héritage de Tezuka Osamu, la bande dessinée japonaise peine à se renouveler. Akira bouleverse de nombreux codes et suscite très vite l’enthousiasme des lecteurs qui suivent avec passion les aventures de Kaneda parti à la recherche de son ami Tetsuo disparu dans les ruines de Néo Tôkyô, héritière de Tôkyô, corrompue et sillonnée par des bandes de jeunes motards désœuvrés et drogués.Très riche sur le plan graphique et scénaristique, Akira sera adapté au cinéma en 1988 et deviendra l’une des références du genre au Japon et dans le monde entier.