A une vingtaine de minutes de Fukuoka, ce magnifique sanctuaire est le fruit d’une histoire des plus fantastiques.
Tout a commencé à Kyôto en 845, au cours de l’ère Heian (797-1185) à la naissance de Sugawara Michizane issu d’une famille de lettrés qui avait une longue tradition de service auprès de l’Empereur. Dès son jeune âge, Michizane aimait les pruniers. Il avait tout juste cinq ans quand il composa ce waka : « Quelle magnifique fleur rouge du prunier, j’aimerais tant qu’elle colore ma joue. » A onze ans, il écrivait de la poésie en caractères chinois, montrant un talent extraordinaire. Plus tard, il s’avéra tout aussi doué comme homme d’Etat et obtint une position d’influence au sein de la cour impériale alors dominée par le clan Fujiwara. Selon le Nihon kokon meika zukai [Courtes biographies des Japonais célèbres des temps anciens et présents] publié par Miki Teiichi, lorsque l’empereur Daigo monta sur le trône en 898, “l’empereur auquel il succédait lui conseilla de confier toutes les affaires importantes à Michizane parce qu’il était le plus avisé et le plus expérimenté”. Le clan Fujiwara devenu très jaloux à son encontre conspira avec Minamoto-no-Hikaru, un autre rival jaloux, pour convaincre l’empereur que Michizane complotait contre lui. Ils réussirent et obtinrent que Michizane soit banni de la cour et envoyé pour gouverner l’avant-poste éloigné de Dazaifu.
Sugawara Michizane quitta Kyôto en larmes et composa un poème d’adieu à son prunier favori : “Si le vent d’est souffle dans cette direction / Ô fleurs de prunier / Envoyez-moi votre parfum / N’oubliez jamais le printemps / Même si votre maître n’est plus ici”. Ici, c’est à partir de là que l’histoire devient surréaliste. La légende veut que le prunier que Michizane appréciait tant se languit de lui si bien qu’il se déracina et s’envola pour Dazaifu afin d’être avec lui. Cet arbre, connu sous le nom Tobiume, ou prunier volant, est toujours présent à droite du Honden (sanctuaire principal) à Dazaifu. En 903, moins de trois ans après avoir été forcé à l’exil, Michizane mourut à Dazaifu. Il avait 57 ans. Beaucoup disent que c’est le mal du pays qui l’a emporté. Le cortège funèbre qui l’accompagna dans son dernier voyage était composé de son fidèle disciple, Umasake Yasuyuki, et de quelques voisins. Son cercueil fut déposé sur un chariot tiré par un bœuf. Soudain, celui-ci se coucha et refusa de bouger. Cet incident interprété comme un signe, on a décidé d’enterrer Michizane à l’endroit où le bœuf s’était arrêté. Une statue de bronze de l’animal épuisé se trouve aujourd’hui dans le parc du sanctuaire Dazaifu Tenmangû. Ses cornes et sa tête brillent à force d’être touchées par les visiteurs, car la tradition veut que cela porte chance à ceux qui les caressent. Deux ans après la mort de Michizane, Umasake construisit le premier sanctuaire en ce lieu. En 919, le clan Fujiwara fit bâtir un sanctuaire plus grand sur sa tombe, mais il a été brûlé au cours d’une des guerres civiles du Japon.
Pendant ce temps, à Kyôto, des choses étranges ont commencé à se produire. Des catastrophes ont frappé certains de ceux qui avaient comploté contre Sugawara Michizane. Le palais de l’empereur brûla dans un incendie déclenché par la foudre. Fujiwara no Tokihira, le principal rival de Michizane, mourut d’une maladie mystérieuse. Un personnage important du clan Fujiwara fut victime d’une tempête. Le fils de l’empereur Uda devint si malade qu’il dut se retirer. Beaucoup finirent par croire que ces catastrophes successives avaient été provoquées par le fantôme courroucé de Michizane qui voulait se venger de ceux qui avaient coupé court à sa carrière et sa vie. Pour l’apaiser, on construisit le splendide sanctuaire Kitano Tenmangû près de Kyôto. L’empereur Ichijô réhabilita Michizane dans son ancienne fonction et son ancien grade avant d’être promu à la magistrature suprême. Finalement, il fut déifié et adoré comme un dieu sous le nom de Tenman Dai-Jizai Itoku Tenjin ou Tenman Tenjin pour faire court. Michizane est devenu une figure tellement vénérée qu’on peut “voir presque dans chaque ville du pays un sanctuaire qui lui est dédié”, comme l’a écrit Miki Teiichi. Au Japon, on recense aujourd’hui plus de 10 000 sanctuaires qui lui sont consacrés. Il est encore vénéré comme le Dieu de l’apprentissage, de la littérature et de la calligraphie. Les sanctuaires Tenmangû se caractérisent toujours par la présence de pruniers et de statues de bœufs.
Même si vous n’êtes plus étudiant depuis longtemps, Dazaifu Tenmangû, situé à une vingtaine de minutes en train du centre de Fukuoka, est un lieu incontournable. C’est le principal sanctuaire Tenjin du Japon classé comme Trésor National. Il est particulièrement fréquenté dans les jours qui précèdent les examens d’entrée à l’université. Les lycéens y affluent par milliers pour prier et obtenir protection et réussite. A environ 250 mètres de la gare de Dazaifu, vous passez sous un immense torii qui enjambe la route menant au sanctuaire. Il s’agit d’une longue rue bordée de magasins de style traditionnel qui proposent des produits typiques comme les poupées Hakata, les éventails, les kimonos ou les sachets de poisson séché, de chikuwa (pâte à base de poisson en forme de bâtonnet) et de gâteaux de riz umegae-mochi.
Avant d’atteindre le sanctuaire, vous traversez un vaste parc dont la beauté naturelle est source d’inspiration. Pour honorer la passion de Michizane pour les fleurs de prunier, on en a planté plus de 6 000 qui offrent un spectacle extraordinaire entre la fin du mois de février et la mi-mars. On trouve également de très nombreux kusunoki (camphrier). L’un d’entre eux situé à gauche du sanctuaire aurait plus de 1000 ans. Cela signifie que la bataille d’Hastings (1066) n’avait même pas encore été planifiée quand cet arbre puissant a connu sa première photosynthèse. Outre la statue du bœuf fatigué (n’oubliez pas de le toucher pour porter bonheur), les représentations animales (des oiseaux, des cerfs et un grand kirin, bête mythologique redoutable résultat d’un croisement entre un lion et une licorne) sont très nombreuses.
Le chemin vous conduit jusqu’au Taikobashi, un pont à deux arches symbolisant passé, présent et avenir. Il enjambe l’étang Shinji et ses îlots. L’étang a la forme du caractère chinois shin qui signifie le cœur. Les fontaines occupent les eaux tout comme les tortues, les cygnes et les carpes. À droite du Taikobashi se trouve le paisible plan d’eau Shôbuike avec ses fameux iris. Avant de vous approcher du magnifique bâtiment principal du sanctuaire, prenez le temps d’observer le prunier planté à sa droite. Il s’agit du légendaire Tobiume qui aurait volé jusqu’à cet endroit pour se retrouver en compagnie de Michizane. Ce qui en fait un arbre plus ancien que le camphrier. On dit que Tobiume est le premier prunier à fleurir, au début du mois de janvier. A sa gauche, il y a un autre prunier qui a été planté par la mère de l’empereur Taishô (1912-1926) qui priait ainsi pour le rétablissement de son fils malade.
Le bâtiment principal du sanctuaire que vous voyez aujourd’hui date de 1591. Avec ses colonnes rouges, ses motifs de feuilles d’or et son toit imposant, cette structure magnifiquement décorée est un superbe exemple d’architecture de l’époque Momoyama (1573-1603). L’œil est aussi attiré par les deux archers assis et colorés qui gardent les portes du sanctuaire. Ils ont remplacé les deux Niô (gardes traditionnels des temples bouddhistes) à l’ère Meiji. Tout autour, vous verrez de petites échoppes vendant des porte-bonheur, dont la plupart visent à la réussite aux examens. Traditionnellement, les étudiants laissaient leurs pinceaux de calligraphie suspendus au sanctuaire pour leur souhaiter bonne chance. Aujourd’hui, il est plus normal d’accrocher de petits ema, ces petites plaques en bois sur lesquelles on inscrit des prières ou des vœux.
Devant toutes ces beautés à Dazaifu Tenmangû, il convient de se souvenir que Michizane est célébré comme un homme au cœur pur. Qu’en est-il de tous ces événements tragiques qui ont frappé Kyôto au Xème siècle ? “Je ne pense pas que l’esprit de Michizane soit responsable de ces calamités, car il n’a montré aucune colère au cours de ses années d’exil”, estime l’écrivain et poète chinois Jiang Yi. En effet, puisqu’il incarne le dieu de l’apprentissage, on dit qu’il a consacré son exil à l’étude, plutôt que de chercher vengeance ou d’exprimer sa haine envers ceux qui l’avaient exilé.
Steve John Powell & Angeles Marin
S’y rendre :
Fukuoka Depuis le début du printemps 2013, KLM propose trois vols par semaine pour Fukuoka au départ de Paris. Un excellent moyen de découvrir l’île de Kyûshû sans avoir à passer par Tôkyô ou Ôsaka.
Dazaifu Au départ de la gare de Nishitetsu Fukuoka, il faut emprunter la ligne Tenjin jusqu’à la gare de Futsukaichi. Vous changerez alors de ligne et emprunterez la ligne Dazaifu jusqu’à la gare du même nom. Cela prend environ une trentaine de minutes et coûte 590 yens. Le sanctuaire se situe à 5 mn de la gare.