Devenu un des lieux les plus prisés de la capitale, ce quartier conserve tout de même sa tranquillité. Visite guidée.
A llan West a mis une dernière touche à son travail avant de descendre de son estrade pour nous rejoindre dans la rue. L’artiste américain vit dans ce quartier depuis 32 ans quand il est arrivé ici en tant qu’étudiant. C’est lui qui va nous guider dans les rues étroites balayées par une petite brise. Son atelier se trouve tranquillement installé entre le cimetière de Honmyôin et un magnifique cèdre de l’Himalaya. Ce sera le point de départ de notre promenade. “Des promoteurs immobiliers ont cherché à abattre cet arbre pour construire un immeuble”, raconte Allan West. “Cela a bien sûr suscité de nombreuses protestations. Des dizaines de milliers de personnes ont signé une pétition pour sauvegarder l’arbre, y compris de nombreux étrangers. C’est d’ailleurs une des choses que j’aime à Yanaka. Comparé à d’autres quartiers de Tôkyô, le sens de la communauté y est beaucoup développé. Cela s’explique peut-être par le fait que la plupart des gens qui y résident travaillent aussi dans le quartier”.
Après avoir passé le cèdre et emprunté une rue en pente douce sur la gauche, nous arrivons devant un curieux restaurant spécialisé dans le riz au curry dont la devanture est décorée avec des dizaines de chats sous forme d’images ou de statues. Les chats semblent particulièrement apprécier le quartier et nous aurons l’occasion d’en croiser un grand nombre tout au long de notre promenade.
En face du restaurant, se trouve l’entrée d’une ruelle. “A Yanaka, il y en a beaucoup, mais celle-ci est ma préférée”, explique Allan West. En suivant ce petit chemin sinueux, nous passons devant de vieilles maisons en bois jusqu’à Gyokurin-ji. Ce temple bouddhiste possède une statue de Chiyonofuji, l’un des plus grands lutteurs de sumo de l’histoire du Japon. On y trouve également un autre vieil arbre. Et si vous regardez la scène sous un certain angle, vous avez l’impression de vous retrouver dans un temple perdu dans la montagne très loin de la capitale japonaise.
De retour sur la rue principale, nous tournons de nouveau à gauche pour nous rendre chez Kinkaidô. Il s’agit de la boutique où Allan West vient acheter ses couleurs pour réaliser ses peintures de style japonais (nihonga). À l’intérieur, il y a des rangées et des rangées de bocaux sur les étagères. “Il y en a deux mille précisément”, explique le propriétaire. “Ces pigments minéraux naturels sont spécialement utilisés dans la peinture de style japonais”, ajoute-t-il. Le magasin a été fondé par son grand-père. Le voisinage a quelque peu changé au cours des quarante dernières années. “C’est moins le paysage qui a changé que la population qui y réside”, insiste-t-il. “Ces dernières années, Yanaka est devenu un quartier branché parce que c’est un endroit tranquille chargé d’histoire. C’est la raison pour laquelle de nombreux jeunes sont venus s’y installer”.
Dans la même rue, mais sur la droite, on trouve une autre boutique. Tanabe Bunkaidô, c’est son nom, est spécialisée dans les pinceaux. “Ils sont surtout utilisés pour la calligraphie”, note Allan West. “Ce n’est donc pas ici que je viens me fournir. Mais c’est un lieu très célèbre. Le fondateur fabriquait des pinceaux pour Miro ou Picasso.” On les trouve d’ailleurs exposés dans la vitrine du magasin. “C’est mon beau-père qui a ouvert cette boutique il y a une cinquantaine d’années”, raconte une vieille dame sympathique venue nous accueillir. “Ici vous trouverez des pinceaux très spéciaux fabriqués avec des poils d’animaux aussi différents que des belettes ou des écureuils. Il y en a un très particulier fait avec des poils de mouton de Chine”, confie-t-elle.
De retour à l’atelier d’Allan West, nous nous orientons dans la direction opposée, en passant devant un autre temple bouddhiste, le Zuirin-ji. Il était fermé, mais on a pu y admirer une magnifique sculpture : une famille de dragons qui semble en train de jouer avec une balle. “En fait, ils lancent des joyaux”, explique le peintre américain. “C’est une scène très amusante en plus d’être une œuvre remarquable”. Le quartier compte de nombreux lieux de culte bouddhiste, parce que les pratiquants de cette religion croient que les mauvais esprits viennent du nord-nord-ouest. Ils ont donc construit de nombreux temples pour protéger Edo de leurs mauvaises influences.
Sur le chemin qui mène à notre prochaine destination, nous passons devant le café Kayaba, un lieu plein de charme implanté dans une petite maison à étage. “J’avais l’habitude de le fréquenter quand j’étais étudiant en art”, se souvient Allan West. “Je n’aurais jamais cru que ce bâtiment survivrait au plan de rénovation du quartier, mais, comme vous pouvez le voir, il est encore là et bien solide”.
En route vers Yanaka Ginza, la rue commerçante la plus populaire du quartier, nous passons devant plusieurs magasins vendant de la céramique et d’autres articles traditionnels. Nous croisons aussi le musée de la sculpture Asakura qui vient de rouvrir après rénovation. “Pour un Occidental, les œuvres qui y sont exposées ne sont pas très excitantes parce qu’il s’agit de simples statues”, explique Allan West. “Mais Asakura occupe une place particulière dans l’histoire de la sculpture japonaise dans la mesure où il a été le premier sculpteur de style occidental à avoir travaillé le métal. En ce qui me concerne, ce qui me plaît ici, c’est le magnifique bâtiment qui abrite le musée”.
Nous arrivons enfin à Yûyake Dandan, les fameux escaliers qui donnent sur Yanaka Ginza. Nous sommes arrivés à destination au meilleur moment. En haut des escaliers, nous dominons la rue animée au moment oû le soleil est en train de se coucher et les premières lumières commencent à s’illuminer. C’est une scène charmante que vient compléter un groupe de chats qui déambulent dans les ruelles.
Jean Derome
A Lire :
Yanaka, histoires de chats de Wakatsuki Megumi (éd. Komikku, 2 volumes). Si la visite guidée de Yanaka faite avec l’artiste Allan West ne vous a pas suffi, vous pouvez prolonger l’aventure avec ce manga qui met en scène Yanaka, un chat candide, plein de vie et totalement craquant. Grâce à sa naïveté et sa méconnaissance de la culture japonaise, ce chat permet au lecteur peu familier avec le Japon de découvrir la vie et les lieux incontournables de Yanaka. L’humour très présent ajoute une touche de fraîcheur à cette courte série qui plaira non seulement aux amateurs de manga, mais à tous les curieux du Japon.