Pour découvrir les racines de cette discipline très populaire, il faut se rendre à l’ouest de l’archipel.
Il est presque 18h30 dans le village de Goka, sur Dogo, la plus grande des îles Oki, dans la préfecture de Shimane [voir Zoom Japon n°50, mai 2015]. Là, en plein cœur de la nature luxuriante du géoparc reconnu par l’Unesco, une vingtaine d’enfants âgés de 8 à 16 ans, vêtus du seul mawashi, la ceinture traditionnelle du sumo, ont pris place sur le dohyô qui fait face au coucher du soleil. L’ambiance est conviviale et le cadre exceptionnel. Le jour, Fukûra Keiichi est pompier sur cette île où il a grandi. Le soir, il est entraîneur de sumos en herbe. Lui-même a commencé la discipline à l’âge de 5 ans. “A Okinoshima, nous pratiquons tous le sumo dès l’école élémentaire. C’est comme ça depuis toujours, c’est un sport très populaire, surtout dans notre village. On s’entraîne puis on mange ensemble à l’issue de la session. La plupart d’entre nous n’en font pas leur métier. Cela reste un plaisir, un hobby que nous aimons partager. C’est aussi une façon d’apprendre aux enfants le respect, la politesse.” Parfois, ils s’affrontent lors de compétitions. “J’ai gagné quelques titres lorsque j’étais plus jeune. J’avais arrêté, mais j’ai repris les tournois récemment. C’est une vraie fierté de représenter la communauté”, sourit-il.
Ce soir-là, les jeunes se préparaient pour le championnat annuel de l’île. Tout le monde peut y participer, sans contrainte d’âge. Dans un bâtiment qui jouxte l’espace d’entraînement des enfants, des jeunes adultes se mettent en tenue pour pratiquer, eux aussi, une fois que les plus jeunes auront terminé. Des parfums délicieux de riz frais, de légumes et de poisson, parviennent aux narines : les familles affairées en cuisine préparent les repas de tous les lutteurs qui partageront leur dîner une fois la séance achevée. Pour l’heure, les enfants saluent puis foncent têtes baissées dans les torses de leurs entraîneurs qui les encouragent à faire les bons gestes, à prendre les meilleurs appuis sur leurs jambes, à mieux placer leurs bras. Parmi eux, Nakanishi Kôtaro, 13 ans. “C’est une discipline difficile, mais cela me plaît, confie-t-il. J’aime bien la compétition et je suis vraiment content de participer au championnat. Je serais si fier si je pouvais devenir le n°1 du district.” Parmi ses idoles : “Le yokozuna Kisenosato [il a accédé à ce grade le plus élevé en janvier dernier. C’est le premier Japonais à atteindre ce niveau depuis 1998, ce qui a constitué un véritable événement] : il est intègre, il ne change pas, il est fidèle à lui-même.” Mais s’il apprécie la discipline, Kôtaro n’a pas l’ambition d’en faire son métier. “Le plus important pour moi reste l’entraînement, le temps passé avec les copains. Je n’ai pas envie de devenir professionnel : plus tard, je veux être professeur.”
A Okinoshima, les tournois de sumo déplacent les foules. C’est toujours un rendez-vous très attendu et très apprécié par la population locale. Parallèlement aux championnats organisés tous les ans, un tournoi classique, baptisé Koten-zumô ou “sumo ancien” est improvisé lorsqu’il s’agit de célébrer une bonne nouvelle pour l’île. Une façon de remercier les dieux pour la félicité. Le Koten-zumô a par exemple été organisé lors de l’ouverture d’une école, de l’aéroport ou encore lors du remplacement du toit du temple Mizuwakasu, lequel est réalisé tous les 20 ans. Le dernier a eu lieu en 2012, lors de l’inauguration de l’hôpital de l’île. Et le prochain aura lieu en 2020. Ce tournoi cher aux îles Oki est une épreuve physique intense, où les lutteurs s’affrontent en deux manches. Il commence au crépuscule et sacre les vainqueurs le lendemain matin. Toute l’île y participe. Le grand vainqueur remporte le titre d’ozeki [champion]. Les quatre meilleurs lutteurs repartent avec les piliers utilisés pour soutenir le toit du ring lors du tournoi. Nagami Osamu, référent national à l’Association japonaise de sumo, les attend toujours avec impatience. Il se souvient de l’édition du 4 novembre 1972 avec émotion. “Le tournoi avait commencé vers 17h. 300 lutteurs y participaient tandis que 2 000 personnes formaient l’audience. Elles sont restées jusqu’au lendemain 12 h. Alors qu’il a plu une partie de la nuit, personne n’a pensé partir. La lutte a été interrompue quelques instants, puis on a repris. C’était une ambiance incroyable.”