Si les habitants des îles Oki sont si attachés à la pratique de ce sport, c’est aussi parce qu’elle est liée à leur histoire locale. En effet, c’est dans la préfecture de Shimane, dont l’île fait partie, que le sumo puise son origine. Il serait très exactement né à Izumo, ville située sur Honshû, principale île de l’archipel japonais. Berceau du Japon ancien, c’est ici, sur la plage d’Inasa, que le premier combat aurait eu lieu, il y a plus de 1 300 ans. “Le Kojiki [“Chronique des faits anciens” compilées au VIIIe siècle] fait référence au mythe de Takemikazuchi et Takeminakata, deux divinités qui se seraient battus dans une épreuve de force sur cette plage”, explique Shinagawa Toshihiko, directeur de la planification curative du musée préfectoral du patrimoine d’Izumo, qui jouxte le célèbre sanctuaire, Izumo Taisha. “Dans un autre ouvrage de la même époque, le Nihon Shoki [Chroniques du Japon rédigé en 720], on trouve la référence d’un combat entre deux hommes, Nomi no Sukune, natif d’Izumo, et Taima no Kehaya, alors considéré comme l’homme le plus fort de la région, sous les yeux de l’Empereur. A l’époque, on ne parlait pas de sumo, mais d’un art martial violent et de mise à mort à mains nues. Nomi no Sukune, qui a vaincu Taima no Kehaya, est néanmoins considéré comme le fondateur du sumo.” Depuis 2013, Nomi no Sukune a son propre sanctuaire dans l’enceinte d’Izumo Taisha.
Au Japon, le sumo est plus qu’un sport national, il est étroitement lié à la religion. D’où l’importance du cérémonial qui précède le combat, du sel purificateur jeté sur le dohyô sacré. La lutte est considérée comme une offrande faite aux dieux. Le yokozuna, le rang le plus élevé chez les lutteurs est l’équivalent d’un demi-dieu. Le sanctuaire Mizuwakasu possède son propre dohyô permanent. Structuré en trois niveaux, le dohyô permet “d’être plus près des dieux qui accordent ainsi leur protection”, explique le gûji [prêtre en chef], Imbe Masataka. “La tradition de la pratique du sumo dans les sanctuaires existe depuis plus de 800 ans au Japon.” A l’époque, on ne parlait pas encore de yokozuna mais d’ozeki, le champion. Venaient ensuite le sekiwake et le komusubi, des distinctions que l’on utilise encore dans le Koten-zumô des îles Oki.
Le terme “sumo” ne serait apparu que plusieurs siècles plus tard dans une autre édition du Nihon Shoki, aux alentours du Ve siècle. “Cela reste du domaine de l’interprétation, mais il semblerait que ce sont bien dans ces chroniques que le mot serait apparu la première fois. L’Empereur avait voulu mettre à l’épreuve des artisans qui se disaient imperturbables lorsqu’ils travaillaient. Pour tenter de les perturber, il a remplacé les lutteurs par des femmes nues auxquelles il a demandé de s’affronter. Surpris, les artisans ont effectivement été distraits dans leurs tâches et auraient ainsi abîmé ce qu’ils étaient en train de fabriquer.” Ironie du sort, les femmes sont depuis toujours interdites de dohyô. “Oui c’est un débat actuel au Japon. Elles sont de plus en plus nombreuses à s’entraîner, mais elles ne sont pas autorisées à entrer sur le dohyô, car les femmes sont jugées impures. Pour que cela change, il faudrait que les lutteurs eux-mêmes demandent que les femmes soient autorisées à pénétrer sur le dohyô, sans cela, je vois mal comment la situation pourra évoluer.”
Autrefois, les lutteurs étaient essentiellement des domestiques qui appartenaient à un domaine et à qui le seigneur demandait de combattre, essentiellement pour son bon plaisir. “Du fait de ce statut, les lutteurs pouvaient jouir d’un logement et d’un faible salaire qu’il pouvait augmenter de primes lorsqu’ils remportaient des tournois.” De nombreuses estampes font d’ailleurs référence à ces combats de sumos, organisés pour les seigneurs, comme Oda Nobunaga. “A l’époque médiévale, le sumo était pratiqué en même temps que le bugaku (danse ancienne) ou la danse des lions (tradition locale de la préfecture de Shimane). On peut donc en conclure que le sumo était alors considéré comme un art.”