
Profondément peiné par ce qu’il venait de découvrir, l’homme a mis sur pied une équipe motivée et le désherbage a commencé, bénévolement. Une voie d’irrigation a été recréée. Puis, Matsubara Tetsurô a fait un choix de vie radical, il y a cinq ans, en quittant Ôsaka avec femme et enfants et en s’installant à Ueyama avec un but : le faire revivre comme autrefois. “Réapprendre à aimer la terre, à l’écouter. Cela faisait longtemps que je réfléchissais à mener ce type d’existence, en famille. Partager l’amour de la nature avec mes enfants. Mais je n’avais pas trouvé le lieu qui me donnerait véritablement envie de sauter le pas. A Ueyama, ce fut l’évidence”, raconte-t-il.
Kumi, son épouse, apporte, sur un plateau, du riz cultivé à Ueyama, du saké fabriqué avec la production locale, de la soupe miso et des yabukanzô, de petites fleurs comestibles de couleur orange, délicieuses. Sa vie dans la grande ville d’Ôsaka, elle ne la regrette pas une seconde. “Ici, je cultive mes légumes, j’apprends des anciens du village, je dois redoubler d’imagination pour que nos assiettes soient créatives avec ce que je trouve dans la terre. Après, c’est certain, nous n’avons pas beaucoup d’argent, mais nous sommes plus heureux que nous ne l’avons jamais été.” “Je suis spécialiste des plantes, c’est ma formation à la base : ici, en plus de mon travail de la terre, j’organise régulièrement des ateliers où j’explique aux gens comment choisir les plantes pour qu’ils puissent ensuite les utiliser pour leur alimentation, mais aussi pour confectionner des médicaments”, ajoute pour sa part Matsubara Tetsurô.
La famille Matsubara a fait des adeptes. Ils sont aujourd’hui une trentaine de personnes originaires d’Ôsaka, mais aussi de Nara, de Tôkyô ou de Yamanashi à avoir rejoint l’aventure d’Ueyama Shûraku, une association à but non-lucratif fondée en 2011, qui a pour objectif de redonner leur forme d’origine à ces rizières. Ils ont investi de vieilles maisons vacantes et y fondent activités et familles, loin du tumulte des grandes villes de l’Archipel. Ensemble, ils ont déjà restauré près de 30 % des 8 300 rizières en terrasses qui forment le village, soit une superficie d’une centaine d’hectares. Depuis 2015, du riz est de nouveau produit localement. La collectivité cultive donc le riz, mais aussi du blé, du sarrasin, des légumes et des fruits. En mai-juin, ils retroussent leurs manches pour planter le riz à l’ancienne, à la main, avec l’aide des anciens du village, qui sont plus qu’heureux de voir arriver la relève qu’ils désespéraient de voir venir un jour. “Ce villageois a plus de 90 ans”, raconte Matsubara Tetsurô, pointant une maison du doigt depuis sa voiture. “Il vit tout seul mais il sait qu’il est entouré désormais. Lorsqu’il est l’heure de planter le riz, il est toujours disponible.”
La force de cette communauté réside également dans les liens très forts que les habitants du village ont su tisser entre eux. “Lorsque j’habitais en ville, je ne connaissais pas mes voisins”, explique Umetani Masashi, natif de Nara, qui s’est installé dans le village, il y a huit ans. “Ici, personne ne vit à moins de 50 mètres de ma maison mais je connais tout le monde. Nous sommes 150 dans le village, mais il n’y a personne que nous ne connaissons pas. Pour moi, cette énergie du groupe est fondamentale et me donne envie de me dépasser.” Après des études d’agriculture à l’université d’Okayama, principale ville de la préfecture du même nom, il a cherché un projet motivant où il pourrait “être utile et s’investir entièrement”. Ueyama l’a séduit immédiatement. Il s’est installé en tant que jeune agriculteur et il fabrique également des objets à partir de peaux de daims chassés dans la montagne environnante. “Il y en a beaucoup dans le secteur, des sangliers aussi. C’est un souci car ils peuvent détruire nos récoltes sur leur passage. Nous les chassons et j’ai appris à travailler le cuir.”
Très investi dans l’association, Umetani Masashi est également chargé de promouvoir le potentiel touristique du village. “Certains d’entre nous, moi et ma famille compris, avons ouvert nos maisons pour le minpaku, l’hébergement de gens de passage. Nous recevons des familles surtout, qui vivent à Tôkyô et qui ont envie de changer de vie, le temps d’un court séjour de trois ou quatre jours. Dans leur vie à 100 à l’heure, ils ont l’impression de parfois passer à côté de l’essentiel et d’oublier comment cela se passait dans le Japon d’autrefois au profit de nouvelles technologies, plus pratiques, plus confortables. Nous sommes là pour leur rappeler ces choses, leur mettre les mains dans la terre”, sourit-il. “Ils veulent savoir comment on faisait du riz autrefois, et également goûter à la vie en communauté”, ajoute-t-il.
Un couple de trentenaires, avec une petite fille et un bébé, résidant dans la capitale, sont justement là pour le week-end. La fête organisée dans le camping du village a attiré leur attention. Un atelier yoga a été improvisé tandis que des personnes préparent du gibier pour le déjeuner. Les enfants courent et jouent. Malgré le froid qui pique le bout des doigts, tout le monde a l’air heureux de partager ce temps ensemble. “Nous organisons ce type de rassemblement pour échanger sur ce que nous faisons et pour réfléchir à de nouvelles possibilités de développement du village”, précise Umetani Masashi.