Ce matin-là, il fait froid et une pluie fine tombe sur les épaules. L’étape de Hakone Hachiri n’a pas volé sa réputation de chemin contraignant. D’énormes pavés irréguliers forment la voie peu confortable de Sakaichi-zaka, une pente étroite qui se trouve sur le dit chemin et offre de multiples occasions de se tordre les chevilles. Difficile d’imaginer qu’il y a quelques centaines d’années, il s’agissait d’une route très fréquentée, d’une quasi autoroute, par laquelle transitaient des voyageurs chargés, des chariots débordant de marchandises, des chevaux et des personnes de haut-rang transportées sur des palanquins. Mais continuons. Les cèdres centenaires qui bordent le chemin dégagent un agréable parfum de bois mouillé. Automne oblige, les feuilles des arbres ont viré aux teintes jaunes, rouge et ocre et nous font presque oublier le pavé humide qui jusqu’à présent ajoutait une difficulté supplémentaire à la marche. Owada Kôichi, spécialiste de l’histoire du Tôkaidô et directeur de l’ancien point de contrôle de Hakone transformé aujourd’hui en musée, sort alors une paire de sandales en paille de riz de son sac à dos : “Ce sont des waraji, explique-t-il. A l’époque d’Edo, les voyageurs les utilisaient pour ne pas glisser sur les pavés et c’était très efficace. Si les intempéries perduraient durant les treize jours du trajet, il fallait les changer souvent, tous les deux-trois jours.”
Hakone Hachiri était une étape importante de l’itinéraire, car il était le point d’entrée et de sortie de la capitale. “Il était plus facile d’entrer que de sortir d’Edo surtout pour les femmes qui étaient davantage contrôlées que les hommes, souligne Owada Kôichi. Selon les points de contrôle et leurs localisations dans l’Archipel, les règles changeaient. Les riverains d’Edo sortaient peu de la capitale et n’utilisaient la route qu’en cas de besoins exceptionnels comme pour des funérailles, pour aller aux temples ou pour se rendre dans les sources d’eau chaude de Hakone que l’on utilisait à des fins thérapeutiques essentiellement. Il fallait obtenir au préalable un laissez-passer officiel pour pouvoir circuler et passer les différents points de contrôle du Tôkaidô et celui de Hakone était très strict et sévère. Il était connu pour être l’un des plus restrictifs des 53 points de contrôle que possédait alors le Japon.”
Erigé il y a 400 ans par le shogunat Tokugawa, dans le but de défendre Edo, le point de contrôle (sekisho) de Hakone situé près du lac Ashinoko était l’un des plus grands du pays à l’époque. Une tentative de passage illégal pouvait être passible de la peine de mort. “Ils avaient même installé une salle d’exécution. C’était une solution très radicale, qui a été extrêmement peu utilisée par les autorités mais qui a existé. Dans les registres, nous avons trouvé 5 cas de condamnations à mort.” Une fois ce point de contrôle passé, on pouvait alors souffler, profiter d’un temps de repos avant de poursuivre la route qui restait longue si on envisageait de rejoindre Kyôto. Pour permettre aux marcheurs de se relaxer, de charmantes petites maisons de thé permettaient, alors, aux personnes de passage, de se restaurer et de se réchauffer sur la route.