Initialement contre le projet, la population locale a félicité les travaux une fois ceux-ci terminés. Quelques années après son inauguration, le nombre d’habitants de la ville de Kôriyama a explosé. En signe de reconnaissance, une statue a été érigée en l’honneur de van Doorn à l’écluse de la rivière Tone, en 1931. Mais “pendant la Seconde Guerre mondiale, les matériaux en bronze étaient récupérés dans le but d’être transformés en armes et en munitions, raconte Iwanami Masato. Les riverains tenaient tant à leur statue de van Doorn qu’ils l’ont emmenée dans la montagne et l’ont entièrement enterrée. La guerre finie, ils l’ont remise en place mais elle garde les traces de cette entreprise : les pieds de la statue sont d’une couleur différente”, sourit-il.
Ses rives bordées d’arbres et à la nature sauvage préservée sont appréciées en hiver par des cygnes qui s’y installent jusqu’au printemps. “L’eau du lac est utilisée par la population locale, mais aussi par les agriculteurs pour la culture du riz”, ajoute l’employé municipal. Elle permet également l’élevage de la carpe, spécialité culinaire locale. Kôriyama en a fait sa marque de fabrique et ce, depuis l’ère Meiji. Loin d’être une étrangeté, ce poisson, symbole ancestral de chance, est également dégusté en Chine et à Taïwan depuis des temps très anciens. “Mais contrairement au saumon ou au thon, la carpe sauvage n’est pas bonne à la consommation, seule celle d’élevage présente un intérêt gastronomique”, précise Kumada Sumiyuki, responsable d’une entreprise d’élevage de carpes qui possède quatorze fermes. Ce matin-là, assis dans sa chaise de camping, il fait face au lac Inawashiro, qui offre un panorama brumeux et fantomatique. C’est l’heure du repas pour ses carpes qui se précipitent auprès de lui. “Elles sont nourries avec des concentrés protéinés à base de légumes ou d’autres poissons. Aucun antibiotique”, assure-t-il.
La famille Kumada élève des carpes depuis l’ère Meiji. Sumiyuki a repris l’affaire à 24 ans et l’a développée en fondant la société des produits de la mer Kumada qui vend une moyenne de 700 000 poissons par an dans la région de Fukushima, mais aussi dans celles de Nagano, Akita, Gunma, Saitama et Yamagata. “La carpe demande une attention particulière en matière de quantité de nourriture, de température de l’eau, de taux d’oxygène. Le lac Inawashiro, particulièrement riche en minéraux est un milieu naturel idéal pour elles. Nous les élevons pendant 2, 3 ans, jusqu’à ce qu’elles atteignent les 1 ou 2 kilos puis nous les livrons vivantes”, explique-t-il.
Après les événements du 11 mars 2011, la production de carpes a sombré. “Au lendemain de la catastrophe, nous avons complètement arrêté la production puis nous avons repris 2, 3 ans plus tard. Petit à petit, la consommation a repris. Nous n’avons toujours pas retrouvé le volume d’avant 2011, mais nous nous en approchons péniblement. Même si les mesures sont extrêmement strictes et les tests de radioactivité négatifs, les gens restent très frileux, même au niveau local. Et puis de manière générale, les Japonais mangent moins de poissons qu’avant, ils ne le cuisinent plus à la maison. Les enfants ont des difficultés avec les arêtes et surtout, on ne veut plus s’embêter.”