S’ajoute à cela, l’image du vin japonais qui a toujours pâti d’une mauvaise réputation auprès des consommateurs. “Autrefois, la population locale buvait une sorte de jus de raisin alcoolisé, assez épais, de couleur marron, pas cher mais pas bon. On l’achetait dans de grandes bouteilles que l’on partageait en famille, à table. On buvait cela à différents moments de la journée. Le vin, à proprement parler, est apparu plus tard”, raconte Tsuchiya Yukari. Depuis que les méthodes de fabrication se sont améliorées, la tendance change. Si la part du vin japonais ne représentait guère plus de 5 % de la consommation locale, la proportion pourrait bien atteindre les 10% au cours de la prochaine décennie, affirment des spécialistes.
“Le vin produit à Yamanashi, il y a dix ans, n’a plus rien à voir avec celui que l’on produit actuellement. Le goût est totalement différent. A l’époque, je n’aurais jamais bu de vin Kôshû, aujourd’hui, c’est de loin, celui que je préfère”, affirme Omata Marie, 32 ans, guide spécialisée en viticulture japonaise. Après une première vie, dans les départements de ventes de grandes entreprises comme Shiseidô, The Japan Times ou encore Tesla, la ravissante trentenaire a entrepris une reconversion osée. Passionnée par le terroir de sa région natale, Yamanashi, où elle vit depuis toujours, elle a à cœur de partager les richesses du patrimoine local. “Même lorsque je travaillais à Tôkyô, je préférais faire 1h 45 de train chaque matin et chaque soir plutôt que de renoncer à vivre à Yamanashi”, raconte-t-elle. Grande voyageuse, elle a parcouru le monde, visitant seule, plus d’une cinquantaine de pays sur une période de dix ans. “J’ai une petite préférence pour la France où je suis allée huit fois. J’aime découvrir de nouvelles cultures et en voyageant, je me suis rendue compte que personne ne savait que le Japon produisait du vin et j’ai eu envie de promouvoir ma région, à ma façon”, ajoute-t-elle. Aujourd’hui, elle guide essentiellement des viticulteurs et voyageurs étrangers, en tours privés (www.facebook.com/yamanashiwineries). “Je fais le lien avec les producteurs locaux qui n’ont pas le temps de communiquer sur leur savoir-faire et qui ne parlent pas anglais.” Elle les aiguille et remarque que “les personnes repartent toujours agréablement surprises. Car oui il y a toutes sortes de vins de qualité au Japon, en particulier à Yamanashi. On trouve aussi des vins natures ou produits en biodynamie. Le vin de Kôshû a également cette spécificité que l’on appelle l’arôme ginjôshu, proche du saké et qui permet une alliance parfaite avec les saveurs de la cuisine locale.”
L’histoire de la viticulture japonaise puise véritablement ses origines, en 1877. A l’époque, Takano Masanori et Tsuchiya Ryûken, salariés de la première coopérative viticole japonaise, la Dai-Nihon Yamanashi budoshu kaisha, ont entrepris un voyage en France, sur les chemins des vignobles de l’Hexagone. Ils y passeront quarante-six jours et y apprendront les bases du savoir-faire avant de rentrer et d’entamer une production de vin à grande échelle, dans la préfecture de Yamanashi. Le raisin sélectionné est la variété locale, le Kôshû, cultivé au Japon depuis 1300 ans, originaire du Caucase et qui a transité par la Route de la soie. La variété présente le double avantage d’être résistante aux maladies, à la pluie et au froid et d’avoir une texture fraîche avec une subtile acidité. Dans les années 1970, la coopérative devient Château Mercian, aujourd’hui entreprise phare du vin japonais. “Le nouveau nom a permis de faire référence à la France, Château pour les vignobles français et Mercian pour Merci, explique Nakamura Kazuaki, vigneron de l’entreprise. Au Japon, lorsque nous confectionnons du saké par exemple, nous prenons soin de remercier le riz, l’eau, les agriculteurs qui nous ont permis d’arriver au produit final. Ici, c’était notre façon de reprendre cette idée, mais dans le domaine du vin.”
Ce matin-là, une dizaine de curieux venaient visiter les caves de la fameuse coopérative qui a vu naitre les premiers litres de vin japonais, il y a de cela 140 ans. Château Mercian (www.chateaumercian.com/en) cultive du raisin Kôshû et Muscat Bailey A à Yamanashi, mais aussi du Chardonnay et du Merlot dans la préfecture de Nagano. La coopérative envisage de s’agrandir en ouvrant un nouveau vignoble, Mariko, à Nagano cet automne. “Le vin japonais se marie indéniablement mieux que les autres vins avec la cuisine de l’Archipel, assure Nakamura Kazuaki. Le vin Kôshû est excellent avec les sushis et les sashimis, les vins rouges avec la cuisine familiale japonaise tels que le porc au gingembre ou le bœuf hâché. Nous sommes absolument convaincus que le marché va encore s’étendre et progresser.”