Dès le mois de septembre, la fleur symbole de la maison impériale donne lieu à de nombreuses festivités.
Quelle est la première fleur qui vous vient à l’esprit lorsque vous pensez au Japon ? Si vous répondez la “fleur de cerisier”, la plupart des Japonais seront d’accord avec vous. Bien que le Japon n’ait pas de fleur nationale officielle, c’est le sakura qui capte l’imagination populaire. Il n’empêche que le symbole officiel du pays est le chrysanthème.
Le motif du chrysanthème à 16 pétales figure sur le blason impérial. On le voit sur la couverture des passeports japonais, sur les pièces de 50 yens et au-dessus des portes des ambassades japonaises à l’étranger. Il est même gravé sur le couvercle de la boîte contenant la Constitution japonaise. L’expression occidentale “trône du chrysanthème” est utilisée pour désigner à la fois le trône de l’empereur et l’institution impériale.
“Le chrysanthème symbolise la nation, explique Awane Maiko, directrice adjointe du bureau de Tôkyô du gouvernement préfectoral de Hiroshima. Il a une image particulièrement noble, et c’est l’emblème officiel de la famille impériale.”
Et si l’arrivée de la saison des chrysanthèmes n’est pas synonyme des grandes de hanami, associées aux fleurs de cerisier, les visiteurs du Japon en octobre et novembre ne peuvent manquer de remarquer les éblouissantes parures de chrysanthèmes qui surgissent dans tout le pays, parfois dans les endroits les plus improbables.
Sur le quai d’une gare rurale, par exemple, vous pouvez trouver une douzaine de bonsaïs de chrysanthème et une multitude de fleurs de taille normale. Une composition plus modeste orne l’entrée de la poissonnerie au coin de notre rue. Des portes des banques et des écoles à la fenêtre de la boulangerie locale, des halls d’hôtel aux bureaux de poste, les chrysanthèmes sont partout, se tenant droits et grands comme des sentinelles. Même les toilettes publiques peuvent présenter quelques fleurs dans un vase, que personne ne songerait à voler ou à vandaliser. Il n’est pas étonnant que l’automne ait été désigné “mois du chrysanthème”.
Sakura et chrysanthèmes sont des opposés complémentaires. Les Japonais aiment les fleurs de cerisier, car elles capturent la beauté fragile et fugace de l’instant éphémère. Les chrysanthèmes, quant à eux, représentent la force et la longévité.
Les chrysanthèmes jaunes ont été cultivés en Chine dès le Xe siècle avant J.-C. Pendant la dynastie Tang (618-907), les chrysanthèmes blancs et violets étaient également cultivés. Au Japon, la culture a pris son essor à la période Heian (794-1185), après avoir été importée pour la première fois à la période Nara (710-794). Aujourd’hui, le Japon cultive plus de 1500 espèces.
A l’origine, les chrysanthèmes étaient cultivés à des fins médicinales. Les fleurs sont censées guérir toutes sortes de maux, des fièvres aux inflammations et même les problèmes cardiaques, et conférer force et vitalité. Elles ont été associées à une longue vie et à la chance.
Sei Shônagon, dame d’honneur de la cour impériale et auteur de Notes de chevet (Makura no sôshi, trad. par André Beaujard, Gallimard) à la fin du Xe siècle, a rapporté que le chrysanthème figurait parmi les fleurs préférées de la cour. Autrement dit, il était devenu populaire non seulement pour ses bienfaits pour la santé, mais aussi pour sa beauté. On attribue à l’empereur Go-Toba (1180-1239) le mérite d’en avoir fait le symbole impérial lorsqu’il l’a choisi comme emblème personnel, décorant son épée, son mobilier, ses biens et l’écusson impérial de motifs de chrysanthèmes.
Contrairement au sakura, le chrysanthème a même son propre jour de fête (9 septembre), qui est le jour du chrysanthème, traditionnellement appelé la fête du bonheur (Chôyô no Sekku). Ce festival remonte à l’année 910, lorsque la première exposition de chrysanthèmes a eu lieu à la Cour impériale. Sei Shônagon raconte que le palais de l’empereur était orné de fleurs de chrysanthème pour le Kiku no Sekku (festival du chrysanthème), et qu’elles y restaient suspendues jusqu’au mois de mai suivant pour l’une des 5 fêtes saisonnières traditionnelles.
Au moment de la fête du chrysanthème, l’empereur offrait à ses courtisans du saké rituel dans lequel flottaient des fleurs de chrysanthème, afin de favoriser la santé et la longévité. Selon la philosophie chinoise du yin et du yang, le 9 septembre est le plus important des cinq festivals saisonniers organisés pour éloigner le mal. Les jours comportant plusieurs nombres impairs étaient considérés comme malchanceux, surtout le 9 septembre car il contient un double neuf, qui est le plus grand nombre simple. C’est pourquoi des rituels de purification étaient pratiqués à cette époque, et qu’étaient notamment utilisées des fleurs de chrysanthème. De nos jours, le 9 septembre, nombre de ces rituels millénaires de longévité sont encore pratiqués dans les sanctuaires et les temples. En effet, depuis l’apparition de la pandémie de la Covid-19, le pouvoir de la fleur de chrysanthème a acquis une nouvelle pertinence.
Des spectacles de théâtre nô sont organisés, mettant en scène des histoires ancestrales comme celle du garçon au chrysanthème. Ce jeune homme mythique était le favori de l’empereur, mais il a été banni dans une montagne éloignée pour avoir commis un délit. Prenant le garçon en pitié, l’empereur lui a donné une écriture bouddhiste sacrée. Le garçon l’a mémorisé en le copiant sur des feuilles de chrysanthème. Il a ensuite bu la rosée recueillie sur les feuilles, et est ainsi devenu immortel. Cette histoire se reflète dans la tradition populaire qui consiste à recouvrir des fleurs de chrysanthème de soie ou d’ouate pendant la nuit, puis à s’essuyer le lendemain matin avec la rosée accumulée, afin de se protéger des maux de la vieillesse. Ce rituel est encore pratiqué dans certains sanctuaires.
A Hiroshima, le festival du chrysanthème, ou Chôyôsai, a lieu au Gokoku-jinja (voir Zoom Japon n°86, décembre 2018), le plus grand sanctuaire shintoïste de la ville, le samedi le plus proche du 9 septembre. Après un rituel de prière pour la chance, suit une représentation de kagura – un spectacle de danse et de musique époustouflant mettant en scène de beaux héros, des dragons maléfiques et des combats d’épées à couper le souffle, conçu à l’origine pour plaire aux dieux (voir Zoom Japon n°76, décembre 2017). “Le kikuzake est servi pendant le festival, explique Ikeda Reina, résidente de Hiroshima et miko (demoiselle du sanctuaire). C’est un saké sacré dans lequel des fleurs de chrysanthème ont macéré toute une nuit. Au Japon, on dit que le chrysanthème est bon pour une longue vie, alors les gens boivent du kikuzake et souhaitent une bonne santé.”
Outre les rituels de la Journée du chrysanthème, le 9 septembre, vous pouvez également voir des expositions de chrysanthèmes dans tout le pays en octobre et novembre, lorsqu’ils sont en pleine floraison. “Les variétés des chrysanthèmes sont constamment améliorées, et il en existe de nombreux types. Ainsi, des expositions de chrysanthèmes sont organisées dans tout le pays pour mettre en compétition la beauté des différentes sortes de fleurs de chrysanthèmes”, rappelle Awane Maiko. Ces expositions sont des événements spectaculaires. Les expositions typiques comprennent des bonsaïs de chrysanthème, des chrysanthèmes en cascade et des poupées humaines grandeur nature habillées de costumes faits de fleurs de chrysanthème. Les modèles miniatures de sites locaux tels que les temples, les pagodes ou les ponts, décorés d’une masse de fleurs éclatantes, sont également populaires.
L’un de ces événements est le Kiku Matsuri, qui se tient chaque année en novembre au sanctuaire Yushima Tenmangû de Tôkyô. Une soixantaine de membres du groupe local d’amateurs de chrysanthèmes y participent, et même des élèves des écoles primaires et des collèges de la région. L’événement attire plus de 100 000 visiteurs chaque année. Mais il n’est pas nécessaire de se rendre dans la capitale pour voir ces fleurs d’automne dans toute leur splendeur. A Hiroshima, par exemple, deux expositions annuelles sont organisées. L’une a lieu au jardin Shukkeien, un “jardin de paysages réduits” construit en 1620 et modelé sur le paysage du lac de l’ouest, à Hangzhou, en Chine (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019). Les étangs de koï, les maisons de thé et les bosquets ombragés du jardin offrent un cadre idyllique pour observer les chrysanthèmes. Les visiteurs viennent de tout le Japon par cars entiers, non seulement pour les fleurs, mais aussi pour la cérémonie du thé du chrysanthème.
L’autre événement se déroule dans le parc du château de Hiroshima, où plus de 2 000 pots de chrysanthèmes sont exposés. Le prix du maire est décerné à la meilleure des grandes expositions. Ici, outre une profusion de bonsaïs, de chrysanthèmes en cascade, de chrysanthèmes à grandes fleurs et de boules de chrysanthèmes, vous trouverez probablement des maquettes décorées de chrysanthèmes représentant des sites de beauté locaux comme l’île de Miyajima, ou des carpes koï plus grandes que nature (voir Zoom Japon n°110, mai 2021), un symbole cher à la ville. Le parfum enivrant de cette splendide profusion de fleurs, ainsi que le doux son du koto provenant d’une scène voisine, font de cet événement un délice pour les sens.
Malheureusement, de nombreux événements de ce type, comme le Chôyôsai du sanctuaire de Gohoku, ont été annulés ces deux dernières années en raison de la crise sanitaire. Pourtant, si vous pouvez vous rendre au Japon cet automne, vous verrez toujours des légions de chrysanthèmes se dresser fièrement comme d’habitude, égayant les rues d’explosions de couleurs. Ils sont le symbole vivant de la force et de la résilience du Japon, quelque chose qui perdurera longtemps après la fin de la pandémie.
Steve John Powell & Angeles Marin Cabello