Le chemin de randonnée Michinoku, dans le nord-est de l’Archipel, n’attend plus que le retour des touristes.
Lorsque le Japon rouvrira ses portes aux touristes, un fabuleux cadeau attend tous les amateurs de randonnée, de forêts et, plus généralement, de contact avec la nature. Il s’agit du sentier de randonnée côtière Michinoku (www.michinokutrail.com). Celui-ci s’étend sur une distance étonnante de 1 000 kilomètres à travers quatre préfectures (Aomori, Iwate, Miyagi et Fukushima) dans la région de Tôhoku, au nord-est de Honshû, de Hachinohe (préfecture d’Aomori) à Sôma (préfecture de Fukushima). Le chemin vous fait traverser des paysages accidentés, des forêts denses, des plages isolées et des parcelles de rizières. Vous rencontrerez également de nombreux petits villages de pêcheurs et villes côtières touchés, en mars 2011, par le grand tremblement de terre et le tsunami avec ses vagues de 13 mètres de haut.
Cette région est une terre sauvage et isolée. Elle figurait parmi les plus belles destinations choisies par le magazine National Geographic en 2020 et parmi les plus beaux lieux à visiter établis par le guide Lonely Planet la même année. Pourtant, elle demeure pratiquement inconnue de la plupart des touristes – pour l’instant. Moins de 2 % des visiteurs étrangers s’y sont aventurés en 2019. Michinoku est l’ancien nom du Tôhoku. Il signifie “la fin de la route”, ce qui indique que la région est résolument hors des sentiers battus.
Le Michinoku Trail, inauguré en juin 2019, a été créé par le ministère de l’Environnement (http://tohoku.env.go.jp/mct/english) pour attirer les gens dans la région, dans l’espoir que le tourisme relance les économies locales durement éprouvées par la catastrophe de 2011. On espérait notamment qu’un grand nombre de touristes viendraient ici à l’occasion des Jeux olympiques de 2020, d’autant plus que Miyagi et Fukushima (à seulement 2 heures de Tôkyô en train à grande vitesse), accueillaient certaines épreuves des JO.
Si une randonnée de 1 000 kilomètres d’une seule traite vous semble intimidante (on estime qu’il faut entre 6 semaines et 3 mois pour la faire), n’ayez crainte. Le Michinoku Trail comprend de nombreuses sections différentes, vous pouvez donc en parcourir une seule ou une partie. Même une excursion d’une demi-journée vous permettra de profiter d’une nature époustouflante.
Un tronçon particulièrement spectaculaire est celui de Fudai Sud, dans la préfecture d’Iwate, qui traverse les paysages magnifiques du parc national de Sanriku Fukkô, l’un des plus récents parcs nationaux du Japon (achevé en 2013). Vous y suivrez le littoral accidenté du Sanriku et ses falaises de 200 mètres de haut, vous plongerez dans des criques désertes baignées par des eaux turquoise, vous monterez et descendrez des escaliers sans fin, vous emprunterez des sentiers étroits à travers des forêts silencieuses (parsemées de panneaux “Attention aux ours”) et vous traverserez des tunnels sombres creusés par les habitants il y a 60 ans. Le point culminant est constitué par les Alpes océaniques – des formations rocheuses d’un autre monde qui émergent de la mer, érodées en arches naturelles et en affleurements rocheux couverts de pins.
Pour les débutants, le guide officiel recommande le tronçon entre Natori et Iwanuma, dans la préfecture de Miyagi. Contrairement aux terrains montagneux exigeants d’autres tronçons, sur cette portion du sentier, vous marchez dans la vaste plaine formée par les rivières Natori et Abukuma. Le sentier passe également très près de l’aéroport de Sendai, ce qui en facilite l’accès.
Quelle que soit la section que vous abordez, vous serez ému non seulement par la beauté de la nature, mais aussi par la vue des villes détruites par le tremblement de terre et le tsunami. Pour Robin Lewis, un jeune éco-entrepreneur anglo-japonais qui a parcouru 600 kilomètres du sentier en 2017 avant sa reconnaissance officielle, rencontrer les populations locales et écouter leurs histoires a été une expérience qui a changé sa vie.
“Marcher vous oblige à ralentir et à faire attention à tous les détails, à vous arrêter pour dire bonjour et prendre une tasse de thé”, raconte-t-il. “Ce qui rend vraiment les lieux uniques, ce sont les interactions avec les gens. Ce sont les gens qui font les lieux. Le tsunami a fait près de 20 000 morts et a rayé de nombreuses communautés complètement de la carte, dévastant des centaines de kilomètres de côte. 10 ans après, les habitants du Tôhoku sont toujours en train de reconstruire leur vie. Et, chose importante, ils sont impatients d’accueillir les touristes du monde entier”, poursuit-il.
Le jeune homme affirme que ses nombreuses rencontres avec la population locale “[l]’ont rempli d’un sentiment d’espoir et d’optimisme pour l’avenir.” Les Japonais sont réputés pour leur hospitalité (omotenashi). Cependant, les innombrables actes de bonté aléatoires que Robin Lewis a vécus le long du Michinoku Trail étaient remarquables, même selon les normes japonaises. Comme cet homme qui l’a abordé en courant dans un petit village de pêcheurs. “Il a crié ‘Hello !’ en anglais, m’a offert un repas et est parti sans dire un mot de plus.” Puis il y a eu la femme qui l’a vu marcher le long du sentier et lui a dit de s’arrêter. “Elle a couru dans sa maison, et a sorti une chaise, ainsi qu’une glace et trois canettes de jus de fruits. Nous nous sommes assis à l’ombre et nous avons parlé jusqu’à ce que tout soit fini.” Une autre fois, il a eu une discussion matinale avec une femme âgée. “Nous nous sommes séparés, et j’ai continué à marcher. Quelques heures plus tard, j’ai entendu une voiture s’arrêter à côté de moi. Elle était là, avec un sac de baies fraîchement cueillies et des bonbons à me donner en guise d’omiyage (souvenir). ”
Un autre jour, deux sœurs agées l’ont hébergé pour la nuit plutôt que de le laisser dormir dehors dans sa tente. “Quand je leur ai demandé pourquoi elles avaient décidé de m’aider, l’une d’elles a raconté qu’elles avaient perdu leur famille et leur maison dans le tsunami. ‘Ce fut une période extrêmement difficile et triste. Dans les semaines, les mois et les années qui ont suivi, tant de personnes du monde entier sont venues nous aider, de parfaits inconnus travaillant à nos côtés pour reconstruire notre ville. Ma famille a bénéficié de tant de gentillesse et de générosité, alors je pense qu’il est important de faire preuve de générosité’, a-t-elle répondu.”
Un récit tout aussi touchant est celui d’Owada-san, 80 ans, de Rikuzen-Takada, qui a raconté à Robin qu’il avait perdu deux fois sa maison à cause d’un tsunami. “Je suis pêcheur depuis l’âge de 16 ans. En 1960, ma maison a été emportée par un grand tsunami. A l’époque, nous n’avions pas de système d’alerte précoce… il est arrivé et a tout emporté. Ma femme et moi avons donc construit une nouvelle maison à partir de rien et nous avons lentement remis nos vies sur pied. Puis, 50 ans plus tard, ma maison a de nouveau été emportée par le tsunami de 2011. Deux fois dans une vie… Quand je m’arrête pour y penser, c’est vraiment difficile à croire. Mais nous sommes des gens de la mer. Toute ma vie, j’ai eu un lien profond avec elle. Elle a subvenu aux besoins de ma famille pendant des générations et j’ai un profond respect pour elle. Alors, suis-je en colère ? Non. Nous devons simplement continuer à avancer. Nous allons reconstruire à nouveau et continuer”, lui a-t-il raconté.
Malheureusement, les grands espoirs mis dans le tourisme porté par les Jeux olympiques n’ont pas abouti. En octobre 2019, quelques semaines seulement après l’ouverture officielle du chemin de randonnée, le typhon monstre Hagibis a causé des dommages considérables à certaines parties de la piste. À peine les réparations terminées, le coronavirus a frappé, détruisant le rêve d’un grand afflux de touristes.
“Au moment des Jeux olympiques, le nombre de randonneurs avait déjà diminué”, explique Aizawa Kumi du Michinoku Trail Club, qui gère le sentier. “C’est vraiment dommage. Tout le monde, le long du sentier, ressent la même tristesse.” Cependant, elle veut rester optimiste et pense qu’après toutes ces épreuves, des temps meilleurs sont à venir. “Si la situation sanitaire s’améliore, je pense que tout le monde dans la zone côtière du Tôhoku sera prêt à recevoir les randonneurs. Nous espérons qu’ils seront nombreux à vouloir venir marcher par ici.”
Pour l’instant, les habitants de la région doivent continuer à attendre et à espérer. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que le monde découvre que les chemins du Michinoku ne constituent pas seulement l’une des randonnées les plus spectaculaires du monde, mais aussi une leçon inspirante pour l’humanité.
C’est d’ailleurs ce que Robin Lewis a déclaré lors d’une intervention à l’université du Tôhoku :
“C’est une histoire de résilience et de vulnérabilité humaine, mais aussi de la relation complexe entre les sociétés humaines et le monde naturel – fondamentale pour la vie sur Terre.”
Steve John Powell
& Angeles Marin Cabello
Pour s’y rendre
Les deux points de départ des sentiers, à Hqchinohe, dans la préfecture d’Aomori, et à Sôma, dans la préfecture de Fukushima, sont accessibles en train à grande vitesse (shinkansen) depuis Tôkyô. Des trains et des bus circulent le long d’une grande partie du sentier, permettant ainsi d’en parcourir certains tronçons selon ses goûts et ses capacités.