Au large de Nagasaki, cet archipel est longtemps resté un bastion du christianisme pourtant interdit au Japon.
Bordées de falaises abruptes, couvertes de montagnes de forêt dense, les îles Gotô, au large de Nagasaki, sont parmi les plus isolées et les plus inhospitalières du Japon. Et pourtant, au sommet de collines surplombant de modestes villages de pêcheurs, perdus à flanc de montagne et accessibles uniquement par de longues routes sinueuses, s’élèvent les clochers de surprenantes églises catholiques. Partir à la découverte des quelque cinquante églises catholiques romaines des îles Gotô, c’est se plonger dans l’extraordinaire histoire de la religion chrétienne au Japon.
Le christianisme avait connu un début prometteur dans l’Archipel avec l’arrivée, en 1549 dans le sillage des premiers marchants Portugais, du missionnaire jésuite François Xavier. En cette période de guerres incessantes entre factions rivales, certains seigneurs, en particulier sur l’île méridionale de Kyûshû, avaient bien accueilli ces nouveaux visiteurs, surtout pour les armes à feu qu’ils apportaient avec eux, et toléré les missionnaires. En quelques décennies, ces derniers, tirant parti de l’instabilité de l’époque, réussirent à convertir un nombre assez considérable de personnes, notamment dans les régions autour de l’actuelle préfecture de Nagasaki. Le christianisme pouvait alors être pratiqué ouvertement. Cependant, en 1597, le shogun Toyotomi Hideyoshi publiait un édit d’interdiction de la religion, perçue dorénavant comme une menace à l’unité du pays, et crucifiait 26 chrétiens à Nagasaki en guise d’avertissement. Le Japon avait entre temps réussi à fabriquer localement des armes à feu, rendant le commerce avec les étrangers moins indispensable. Par la suite, le shogunat Tokugawa isolationniste proscrivait le christianisme et expulsait tous les missionnaires. Après la rébellion dans la presqu’île de Shimabara, en 1637, qui impliqua de nombreux paysans portés par la foi chrétienne, des milliers de rebelles furent exécutés et l’interdiction totale du christianisme fut strictement appliquée. Les chrétiens qui revendiquaient leur foi étaient torturés et forcés par l’inquisition à l’exil.
Seules de petites communautés de croyants résistèrent et trouvèrent alors refuge sur les îles Gotô qui, du fait de leur éloignement, offraient une certaine protection. Ainsi pendant plus de deux siècles, ces “chrétiens cachés” (kakure kirishitan) continuèrent à pratiquer leur religion en secret, sans prêtres, jusqu’à ce que les Etats-Unis forcent en 1853 le Japon à s’ouvrir. Cette opiniâtre résistance témoigne de la résilience de la foi chrétienne japonaise. Compte tenu de cette histoire, il est assez surprenant qu’il subsiste si peu de chrétiens aujourd’hui, on estime qu’ils ne représentent que 0,3 % (2016) de la population totale. Bien que les mariages dans les chapelles, dépouillés de leur signification religieuse, fassent désormais partie des coutumes de la société japonaise, le christianisme n’a jamais réussi à s’enraciner dans le pays.
Sur les îles Gotô, alors qu’il s’agit de loin du pourcentage le plus élevé du Japon, seulement 15 % environ des habitants sont aujourd’hui chrétiens. Et pourtant, à partir de 1873, année où l’interdiction de la foi chrétienne fut levée, un grand nombre d’églises furent construites et de véritables communautés se forgèrent dans des villages où tous les habitants étaient catholiques et où la vie tournait autour de la paroisse, chose qui n’a existé nulle part ailleurs au Japon.
Sur l’île de Fukue, principal point d’accès de l’archipel des Gotô, s’élève l’élégante église en briques rouges de Dôzaki, idéale pour une entrée en matière. Consacrée en 1908, elle est, après la basilique d’Ōura de Nagasaki, la plus ancienne église de style occidental de la préfecture. Construite, au bord d’une paisible crique, en briques rouges importées d’Italie, son intérieur est orné de sobres vitraux. Alors que la plupart des églises servent encore de lieux de culte, l’église de Dôzaki fait office de musée des chrétiens cachés et des missionnaires qui ont établi la religion de la Bible au Japon.
Sur l’île voisine de Hisaka, l’ancienne église
Gorin est un modeste bâtiment abrité par de grands arbres. On y accède par bateau ou après une marche dans la forêt. Son style particulier résulte de l’étonnante combinaison d’une maison japonaise traditionnelle, de par son aspect extérieur, et d’une architecture gothique pour ce qui est de l’intérieur. L’église, toute en bois, arbore un plafond voûté à la conception complexe et de fines colonnes, elle est ornée de subtiles sculptures de la Vierge Marie et du Christ et de sobres vitraux. Construite en 1881, c’est l’une des premières églises en bois du Japon, elle fut déplacée en bord de mer en 1931 et servi d’inspiration architecturale pour les églises bâties plus tard.
Jusqu’à l’après-guerre, plus d’un quart des habitants des îles Gotô étaient encore chrétiens. La richesse des années de forte croissance économique a eu raison de leur foi. Les catholiques étaient beaucoup plus pauvres que les non-catholiques, occupant des villages isolés, sans terre arable, sans eau, dans les régions les plus hostiles de l’archipel, accessibles uniquement par la mer. Mais depuis 50 ans, des routes et des ponts ont été construits, reliant les villages les plus reculés, et les catholiques ont peu à peu bénéficié eux aussi des progrès économiques. Lorsque les gens se mettent à acquérir des richesses matérielles, ils en viennent à rechercher le confort et la guérison dans les choses matérielles, et l’intérêt pour l’église décline. Les facteurs aggravants étant un faible taux de natalité et l’exode rural. Les îles Gotô sont en effet une des régions du Japon les plus affectées par la dépopulation. Avec le déclin de l’industrie de la pêche et des travaux publics, les jeunes se sont déplacés vers les villes et ont été absorbés dans une culture majoritairement non chrétienne, beaucoup ne sont jamais revenus.
Les églises se dépeuplent plus encore depuis une vingtaines d’années, en particulier celles situées dans les parties les moins accessibles des îles, et de communautés autrefois vibrantes ne restent que quelques fidèles très âgés. La situation est critique – la question est de savoir quelle sera la prochaine église à être abandonnée. Les autorités locales tentent donc de les transformer en attractions touristiques. Quatre, dont l’ancienne église Gorin, ont été ajoutées à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 2018.
Plus au nord, sur l’île de Naru, peuplée presque exclusivement de pêcheurs, l’église d’Egami, elle aussi classée par l’Unesco, n’était autrefois accessible que par la mer. Une interminable route qui longe la côte, puis un long tunnel, permettent aujourd’hui de découvrir cette ravissante église blanche, aux fenêtres peintes en bleu, qui ressemble à une maison de poupées. Conçue par Tetsukawa Yosuke, le père de l’architecture chrétienne au Japon, la structure actuelle a été construite en 1918 grâce aux fonds collectés par 50 familles sur les revenus de leur pêche.
Les églises des Gotô préservent désormais la mémoire des populations chrétiennes ostracisées et des nombreux martyrs. Outre leur richesse architecturale, ce qui frappe le visiteur est leur échelle réduite, certaines ressemblent à des versions miniatures d’édifices européens. Les églises sont toutes différentes par le style et par les matériaux utilisés, bois, briques, pierres ou béton armé et, comme il se doit, on retire toujours ses souliers avant d’entrer.
L’église de Kashiragashima, au nord-est, a été construite avec des pierres extraites et amassées par les paroissiens pendant neuf ans. D’allure austère et massive, elle est lovée dans une anse de toute beauté, le cimetière qui la jouxte donnant directement sur une plage de sable fin.
La très longue période d’interdiction du christianisme, pendant laquelle les chrétiens cachés ont réussi à préserver leur foi, ne cesse de fasciner. En l’absence de lieux de culte, de prêtres, c’est uniquement par la tradition orale que la Bible et d’autres parties de la liturgie se sont transmises, les objets de culte et les textes imprimés pouvant être confisqués par les autorités. Ainsi, pendant plus de deux siècles, les récits et prières enseignés par les missionnaires européens au XVIe siècle, se sont récités, de père en fils, au sein de communautés recluses, s’enrichissant au passage d’un syncrétisme de croyances, de récits et de coutumes locales.
Ils furent redécouverts par le prêtre Français Bernard Petitjean, de la Société des Missions Étrangères de Paris, envoyé à Nagasaki en 1863 pour y faire construire la basilique d’Ôura. Un petit groupe de chrétiens cachés ayant entendu parler de la construction d’une nouvelle église s’y rendit dans l’espoir d’y apercevoir une statue de la Vierge Marie et, se trouvant pour la première fois depuis deux siècles face à un missionnaire étranger, révéla leur foi.
Ils étaient en possession d’un extraordinaire récit fondé sur la Bible, les Commencements du Ciel et de la Terre (Les chrétiens cachés du Japon. Traduction et commentaires des Commencements du Ciel et de la Terre. Géraldine Antille, Labor et Fides, 2007), sorte de bréviaire mis par écrit au milieu du XIXe siècle, sans doute par crainte que la tradition orale ne s’épuise, et qui permet de comprendre à quel point les chrétiens cachés ont “japonisé” le récit biblique et en quelque sorte réinventé leur religion. Leur liberté religieuse retrouvée, la majorité des chrétiens cachés a rejoint l’église catholique romaine officielle. D’autres ont choisi de continuer à pratiquer leur foi de façon secrète, par fidélité à l’héritage transmis par leurs ancêtres. Il ne reste de nos jours qu’une poignée de descendants de ces chrétiens cachés sur les îles Gotô, tous très âgés, et un seul prêtre qui ne pratique plus.
Pour compléter la visite, il vous faudra partir à la recherche, sur l’une des dizaines d’îles qui composent l’archipel, des sépultures de ces chrétiens cachés, parfois de simples pierres sans nom, posées dans la forêt, ou dans des cimetières qui ne figurent sur aucune carte.
Eric Rechsteiner
Pour s’y rendre
Le train à grande vitesse ainsi que les principales compagnies aériennes, relient Tôkyô et Ôsaka à
Nagasaki. De là, des ferrys et hydroglisseurs assurent la liaison avec les îles de Fukue et Nakadôri.
Les églises classées au patrimoine mondial de l’Unesco ne sont ouvertes que sur réservation.