Les touristes en savent peu sur les tremblements de terre. Voilà comment on se prépare au pire dans la capitale.
C’est comme un de ces numéros de loterie que tout le monde attend mais qui ne sortent jamais, semaine après semaine, mois après mois. Le grand tremblement de terre. Le grand tremblement de terre de Tôkyô dont les experts nous assurent qu’il va se produire. Selon les dernières estimations, il y a 70 % de chances qu’un séisme majeur frappe la région de Tôkyô dans les 25 à 30 prochaines années.
En effet, non seulement l’archipel japonais est situé dans une zone où plusieurs plaques continentales et océaniques se rencontrent, mais Tôkyô bénéficie d’un emplacement unique où trois plaques tectoniques convergent et s’entrechoquent sous la ville, susceptibles de provoquer des méga tremblements de terre.
Pourtant, la capitale japonaise n’a connu aucun mouvement sismique désastreux au cours des 100 dernières années, alors que des tragédies inattendues ont frappé des endroits considérés comme “au-dessus de tout soupçon” comme la région d’Ôsaka-Kôbe en 1995. Il n’en reste pas moins que toute réflexion ou conversation sur le “Big One” ne porte pas sur le “si”, mais sur le “quand” il se produira.
Comme on pouvait s’y attendre, la culture populaire a également abordé le sujet. En 1980, Nippon TV a produit Tôkyô Daijishin Magunichûdo 8.1 [Le grand séisme de Tôkyô M8.1], un téléfilm mettant en vedette Chiba Shin’ichi, tandis qu’en 2009, Tachibana Masaki a réalisé Tôkyô Magunichûdo 8.0 [Tôkyô Magnitude 8.0], une série animée en onze épisodes diffusée par Fuji TV (elle peut être visionnée sur YouTube avec plusieurs doublages et sous-titres).
Ce dernier titre, en plus d’être une excellente œuvre animée avec une histoire solide, des personnages bien développés et une bonne animation, est un rappel effrayant de ce qui pourrait arriver lorsque la capitale sera finalement victime d’un tremblement de terre majeur. L’histoire est celle de Mirai, 13 ans, et de son frère Yuki, 9 ans, qui visitent un jour une exposition de robots à Odaiba – une île artificielle dans la baie de Tôkyô – sans être accompagnés de leurs parents qui sont occupés à travailler. Au moment où ils s’apprêtent à quitter le musée (le vrai Miraikan), la terre se met à trembler. Il est immédiatement évident qu’il ne s’agit pas d’un séisme ordinaire, mais de quelque chose de beaucoup plus grave. Les bâtiments subissent d’importants dégâts, le Rainbow Bridge vibre comme s’il était en papier, des incendies se déclarent à de nombreux endroits. Bloqués à une vingtaine de kilomètres de leur maison dans le quartier de Setagaya, les deux frères et sœurs sont secourus par Mari, une jeune femme qui leur promet de les aider à retrouver leurs parents.
Lorsque de telles catastrophes se produisent, tous les systèmes de transport public (trains, bus, métros) s’arrêtent et de nombreuses personnes qui se trouvaient dans des lieux publics, à l’école ou sur leur lieu de travail au moment du tremblement de terre choisissent souvent de rentrer chez elles à pied. C’est ce que Mari et les enfants décident de faire, et les épisodes 4 à 9 sont consacrés à leur randonnée à travers le sud de Tôkyô, de Hinode Pier à Sangenjaya (le dernier tronçon du voyage des enfants est parcouru en camion). Au cours de leur odyssée, ils assistent à l’effondrement du Rainbow Bridge et de la Tour de Tôkyô (voir Zoom Japon n°3, septembre 2010) et frôlent eux-mêmes l’accident.
Avec ses 10,5 kilomètres, la marche entre Hinode Pier et Sangenjaya est loin d’être impossible, mais la présence de deux enfants fatigués, affamés et malades complique les choses et réduit souvent la marche à une simple marche à quatre pattes. Evidemment, ils ont besoin de manger, et ils se ravitaillent d’abord dans une supérette, puis dans un point de distribution au Parc Shiba, près de la Tour de Tôkyô, avant de passer la nuit dans une école (par coïncidence, c’est le collège de Mirai) transformée en centre d’évacuation.
Bien que les abris pour réfugiés situés dans chaque district disposent de réserves de nourriture et d’eau, ils sont construits en pensant uniquement aux résidents. Par conséquent, dans de telles circonstances, le problème se pose de savoir comment s’occuper de tous ceux qui ne sont pas du quartier. Dans de telles situations d’urgence, d’autres lieux tels que les supérettes, les stations-
service et parfois même les restaurants familiaux offrent leur aide en distribuant gratuitement les produits nécessaires, en fournissant des informations sur la catastrophe et en mettant à disposition leurs toilettes.
La pratique consistant à construire des écoles élémentaires et secondaires ainsi que des parcs côte à côte a été établie peu après le grand tremblement de terre du Kantô en 1923 (voir pp. 4-12). La sécurisation des parcs a été considérée comme un facteur important pour la création d’une ville résistante aux catastrophes. La division municipale des parcs de Tôkyô, dirigée par Inoshita Kiyoshi, a considéré les écoles comme des unités des communautés locales et a mis en place des bâtiments scolaires en béton armé résistants au feu et aux tremblements de terre, ainsi que des petits parcs, à la fois comme zones tampons et comme centres d’évacuation. Au cours de la reconstruction, ces lieux ont été installés dans 52 endroits de la ville. Aujourd’hui encore, dans la mesure du possible, les écoles et les parcs sont construits selon le plan original, et au moins 40 % du périmètre extérieur est planté d’arbres à feuilles persistantes présentant d’excellentes qualités d’ignifugation, d’insonorisation et d’étanchéité à la poussière.
En raison de la consolidation et de la fermeture d’écoles dues à la baisse du taux de natalité, bon nombre de ces 52 parcs ont été fermés ou ont vu leur superficie réduite, tandis que d’autres écoles ont été ouvertes dans les banlieues où vivent aujourd’hui la plupart des habitants de Tôkyô. Motomachi, dans l’arrondissement de Bunkyô, est un exemple de parc qui a survécu au tremblement de terre et dont on pense qu’il a été préservé dans sa forme d’origine.
Mari et Mirai ont toutes deux un téléphone portable mais, comme prévu, elles ne peuvent ni passer d’appels téléphoniques ni envoyer de messages à leurs familles. Depuis le tournage de cet anime, un système de messagerie a été mis au point pour laisser de courts messages qui peuvent être utilisés aussi bien avec un téléphone portable qu’avec un téléphone public.
Si nos protagonistes ne peuvent pas contacter leur famille, ils peuvent en revanche accéder à Internet et consulter les nouvelles. C’est ainsi que, dans l’épisode 8, ils apprennent le bilan partiel de la catastrophe : 180 000 morts, soit près de deux fois le nombre de victimes de 1923. Heureusement, ce chiffre semble aujourd’hui trop pessimiste : selon une nouvelle estimation des dégâts réalisée en mai 2022 par le Conseil central de prévention des catastrophes du gouvernement métropolitain de Tôkyô, un tremblement de terre de magnitude 6 ou plus dont l’épicentre est situé directement sous le centre de la capitale (frappant un soir d’hiver, avec une vitesse de vent de 8 m/s) devrait affecter environ 60 % de la zone de la circonscription.
On estime que 194 431 bâtiments seront endommagés (82 000 par le tremblement de terre, 112 000 par les incendies), que 6 148 personnes mourront, que 93 435 seront blessées et que la catastrophe entraînera l’évacuation de près de trois millions de personnes. Tous ces chiffres sont d’ailleurs nettement inférieurs à ceux de l’enquête précédente qui estimait, par exemple, à près de 10 000 le nombre de morts. En outre, le gouvernement métropolitain s’est fixé pour objectif de réduire de moitié les dommages causés aux personnes et aux bâtiments d’ici à l’exercice 2030.
Dans son livre de 2014, When the Earth Roars : Lessons from the History of Earthquakes in Japan (Ed. Rowman & Littlefield Publishers 2014), le professeur Gregory Smits a laissé entendre que les catastrophes n’ont guère contribué à modifier les modalités de réaction du Japon aux catastrophes, décrivant l’officielle “bureaucratie des tremblements de terre” comme toujours d’actualité, redondante et confuse. Il suggère ainsi que que le public n’a qu’une vague idée de ce que font les nombreuses parties prenantes. Cela peut être vrai, et en effet, les tremblements de terre de Kôbe (1995) et du Tôhoku (2011) ont mis en évidence des lacunes dans le réseau de réponse aux catastrophes. Mais d’un autre côté, les autorités nationales et locales ont récemment pris des mesures pour sensibiliser la population à ce à quoi il faut s’attendre en cas de tremblement de terre majeur, et à ce qu’il faut faire avant et après l’événement.
En septembre dernier, par exemple, le gouvernement métropolitain de Tôkyô a annoncé les résultats de l’enquête régionale sur la mesure des risques de tremblement de terre, dans laquelle il a classé les 23 arrondissements de la capitale en fonction de leur sécurité. Depuis 1975, cette étude est menée tous les cinq ans, et la neuvième et dernière enquête a couvert 5 192 villes, indiquant le risque de tremblement de terre dans chaque région en termes d’effondrement des bâtiments, d’incendie, de coefficient de difficulté des activités de sauvetage et de risque global. Le risque de tremblement de terre de chaque quartier a été évalué sous différents angles, notamment l’emplacement, la topographie, la géologie, la structure de la ville et la proximité de la mer.
Sans surprise, les zones les plus sûres sont celles situées à l’ouest et au nord-ouest de la capitale, c’est-à-dire les banlieues et la zone dite de Yamanote. Elles présentent des caractéristiques telles qu’un bon sol qui ne tremble pas facilement, un faible risque de liquéfaction, de nombreux bâtiments résistants aux tremblements de terre et peu denses, ainsi qu’une situation à l’intérieur des terres qui leur permet de ne pas être endommagées par les tsunamis.
A l’inverse, les zones dangereuses sont les quartiers nord, est et sud, car elles se caractérisent par un sol oscillant, une géologie sujette à la liquéfaction, de vieilles maisons en bois très denses et, dans certains cas, sont exposées au risque de tsunami. A cet égard, les plus mal situés des 23 arrondissements centraux sont Arakawa, Sumida et Adachi. Il s’agit de quartiers traditionnellement ouvriers situés de part et d’autre des deux principales rivières de Tôkyô, la Sumida-gawa et l’Ara-kawa. De manière plus générale, plus on se rapproche de la baie de Tôkyô et de la banlieue est, plus le risque est élevé.
Les voyageurs qui visitent la capitale seront heureux d’apprendre que bon nombre des principaux sites touristiques sont relativement sûrs. Shibuya est le quatrième quartier le plus sûr de Tôkyô, Toshima (où se trouve Ikebukuro) est le cinquième, tandis que Shinjuku et Suginami (Kôenji, Asagaya) sont respectivement aux sixième et dixième rangs (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019). À l’autre bout du spectre, l’arrondissement de Taitô, où se trouvent Asakusa et Ueno, est considéré comme le cinquième endroit le plus risqué lorsque le Big One frappera.
En ce qui concerne les habitants de Tôkyô, une attention particulière a été accordée aux immeubles de grande hauteur. Les tours d’habitation se sont multipliées ces dernières années et, au cours de l’exercice 2020, la capitale comptait environ 3 500 immeubles de 45 mètres (15 étages) ou plus, soit une augmentation de 43 % depuis 10 ans. Selon le gouvernement métropolitain, tous les immeubles en copropriété qui répondent aux nouvelles normes de résistance aux tremblements de terre de juin 1981 sont conçus pour ne pas s’effondrer, même en cas de tremblement de terre de grande ampleur d’une intensité sismique de 6 à 7.
Selon les autorités locales, les quelques 4 700 centres d’évacuation de la capitale peuvent accueillir environ 3,18 millions de personnes (en avril 2022). D’autre part, environ 9 millions de personnes vivent dans des logements partagés tels que des condominiums. Les centres d’évacuation seront confrontés à des pénuries de fournitures, à la détérioration des conditions sanitaires et à la propagation de maladies infectieuses. C’est pourquoi les autorités encouragent les habitants des tours d’habitation à rester chez eux. Le concept d’“évacuation à domicile” a été inclus pour la première fois dans le nouveau plan régional de prévention des catastrophes.
Bien que ces immeubles soient très résistants aux tremblements de terre, ils risquent de devenir des îlots isolés lorsque les ascenseurs cessent de fonctionner. C’est pourquoi les résidents sont vivement encouragés à constituer des réserves d’urgence afin de pouvoir rester chez eux, et des séminaires seront organisés pour améliorer leur niveau de préparation aux catastrophes. La municipalité propose notamment l’installation de sources d’énergie de secours pour faire fonctionner les ascenseurs, la création d’un manuel de prévention des catastrophes et la constitution de réserves d’eau et de nourriture pour une durée d’environ trois jours.
Mais que se passe-t-il si l’on se trouve loin de chez soi au moment du tremblement de terre ? La population diurne du centre de Tôkyô est d’environ 16 millions d’habitants, et on estime que plus de 4,5 millions de personnes se retrouveront bloquées et incapables de rentrer chez elles. C’est ce qui s’est passé après le tremblement de terre de mars 2011 dans le nord-est de l’archipel. En d’autres termes, bien que l’épicentre ne soit pas situé dans la région métropolitaine de Tôkyô, les trains se sont arrêtés, la réception des téléphones portables a été interrompue et les rues ont été encombrées de personnes et de voitures. Dans une telle situation, les autorités et les experts encouragent désormais les gens à rester là où ils sont au lieu de se lancer dans un exode massif pour rejoindre leur domicile.
Comme le veut la tradition japonaise, des vidéos bilingues ont été produites, mettant en scène deux personnages pas très mignons : un dinosaure à dents de bouc appelé Gachapin et un yéti rouge nommé Mukku. Dans ces vidéos, Gachapin et Mukku expliquent de manière simple les dangers qu’il y a à rentrer chez soi en une seule fois en cas de catastrophe. En effet, si une catastrophe survient alors que vous êtes à l’intérieur d’un bâtiment, vous ne devez pas vous précipiter à l’extérieur dans la panique. Les 72 premières heures après une catastrophe sont cruciales pour sauver des vies, et si les gens débordent sur les routes, les véhicules d’urgence ne peuvent pas passer pour sauver des vies. De plus, le risque d’être écrasé par une foule déferlante augmente dans ce genre d’événement.
Gachapin et Mukku expliquent ensuite que la meilleure chose à faire est d’attendre dans un abri temporaire proche (écoles, hôtels, commerces, bibliothèques, etc.) pendant 72 heures. Le gouvernement métropolitain de Tôkyô a créé l’application Disaster Preparedness Tokyo pour les smartphones. Cette application est disponible en japonais, anglais, chinois et coréen. Outre les informations sur les centres d’évacuation et les abris temporaires à Tôkyô, elle offre diverses fonctions utiles en cas de catastrophe. Une fois que vous aurez trouvé un endroit sûr où attendre, vous pourrez vous assurer de la sécurité de votre famille et de vos amis.
Les personnes qui se rendent régulièrement au travail ou à l’école sont également invitées à toujours emporter quelques objets utiles, comme une batterie de rechange pour leur smartphone, leurs médicaments habituels, des vêtements de protection contre le froid, etc. Enfin, les experts conseillent d’emporter une torche électrique et une bouteille d’eau. Comme un tremblement de terre majeur est immédiatement suivi d’une panne d’électricité massive, une torche peut s’avérer très utile. Quant à l’eau, l’une des pires choses qui puissent arriver, outre le fait d’être blessé, est de se retrouver coincé dans un ascenseur. En cas de tremblement de terre majeur à Tôkyô, on estime que les ascenseurs d’environ 30 000 bâtiments s’arrêtent automatiquement pour des raisons de sécurité. Certaines personnes passeront probablement 2 à 3 jours à l’intérieur de l’un d’entre eux, et le fait d’avoir de l’eau sur soi augmentera considérablement leurs chances de survie.
Gianni Simone