Les amateurs de sortie en mer peuvent faire le déplacement jusqu’au sud de Kyûshû pour une journée inoubliable.
Amami est un groupe d’îles situé au sud-ouest du Japon entre Kyûshû et la grande île de l’archipel d’Okinawa. Les huit îles d’Amami, toutes habitées, sont rattachées administrativement à la préfecture de Kagoshima. L’archipel appartenait au royaume de Ryûkyû jusqu’en 1624, date à laquelle il fut annexé par le gouverneur de la province de Satsuma, ancien nom de la préfecture de Kagoshima.
C’est la Golden Week, cette rare période de l’année (fin avril-début mai) où les Japonais osent s’accorder quelques jours de vacances. Un groupe de cinq anciens collègues de travail devenus amis, quatre hommes et une femme, tous ingénieurs ou spécialistes de l’informatique, ont décidé pour l’occasion d’aller à la pêche au gros sur une petite île perdue au sud d’Amami. La pêche au gros, ômono-zuri en japonais, est la pêche aux grands poissons de mer comme l’espadon, le requin ou le thon. Le matériel le plus souvent utilisé est un robuste ensemble moulinet et canne spécialement conçu. C’est une pêche réservée à un petit nombre de privilégiés, car il s’agit d’une activité relativement coûteuse. Les régions idéales pour cette pêche varient selon les espèces de poissons, Aomori tout au nord de Honshu, île principale du pays, pour le thon rouge, ou l’île Miyako, à la latitude du nord de Taïwan, pour la sériole. Nos vacanciers ont eux aussi décidé de se rendre dans les mers du sud mais sur l’île peu connue d’Okinoerabu car ils y ont des amis. Des cinq pêcheurs amateurs, un seul, Yama-chan, est expérimenté. Mika, la seule femme du groupe, ainsi que Munerin et Nii-san sont des débutants et Yûsuke n’a quant à lui jamais touché une canne à pêche.
La Pirafu est un petit bateau de 12 mètres équipé de puissants moteurs et pouvant embarquer jusqu’à 13 personnes. Son propriétaire est un homme passionné de pêche qui possède également les deux magasins d’articles de pêche de l’île, il a baptisé son bateau de son nom de famille, Hirafu, lui ajoutant un La français pour faire chic. Le capitaine du bateau est Terahara Ryûji, 49 ans, qui connaît comme sa poche les fonds marins de l’île et ses variétés de poissons. Les clients de ces sorties en mer sont principalement des habitants de l’île pêcheurs avertis, mais parfois aussi des gens venus de très loin pour pratiquer leur loisir préféré. En hiver, le bateau propose également des sorties en mer pour l’observation des baleines, leur route de migration vers le sud longe en effet Okinoerabu.
Rendez-vous est pris avant l’embarcation au magasin d’articles de pêche qui organise les sorties en mer de La Pirafu, nos pêcheurs sont conseillés sur le choix des appâts en fonction des espèces de poissons qu’ils souhaitent prendre. Ils optent pour des crevettes et des kibinago, de petits poissons très prisés dans certaines régions du Japon et consommés en sashimi, mais aussi utilisés comme appât pour attraper le fameux katsuo (bonite à ventre rayé ou thon rosé que l’on consomme souvent en flocons séchés dans de nombreux plats) et autres gros poissons.
Les débutants du groupe sont aussi conseillés sur le choix et l’utilisation de base du matériel : dans quel sens tourner le moulinet ou comment utiliser le compteur qui indique la profondeur à laquelle est descendue la ligne. Portant tongs et t-shirts, nos citadins sont habillés plus comme des touristes en balade que comme des pêcheurs pour une virée en mer, mais au moment de l’embarquement, enfiler un gilet de sauvetage est obligatoire. Yûsuke, qui donne l’impression de sortir d’une boîte de nuit, est même venu avec une paire de palmes de plongée jaunes, qu’il porte fièrement à l’épaule, car on lui a expliqué que s’il n’arrivait pas à pêcher, il pourrait toujours piquer une tête dans la mer, l’eau est déjà à 25 degrés en ce début mai. La dernière étape avant de quitter le port de Wadomari, principale localité de l’île, où La Pirafu est amarrée, est le marché aux poissons où se déroule justement la criée du jour, afin de faire provision de glace pour tenir les prises au frais.
La Pirafu prend alors le large dans le vacarme de ses moteurs et après une vingtaine de minutes, arrivé dans un endroit propice, le capitaine réduit les gaz et lève la brigantine, une petite voile grée sur un mat à l’arrière du bateau, afin que celui-ci se déplace lentement avec le vent. La technique utilisée par nos amis est appelée pêche à soutenir, elle consiste à laisser descendre la ligne sur le fond puis attendre la touche. Il s’agit d’une pêche active où le pêcheur garde la canne en main. Le montage de la canne se compose d’un plomb lourd et d’une ou plusieurs potences présentant un appât. A la touche d’un gros poisson, il faut ferrer d’un mouvement ample et ramener le fil à la limite de la rupture pendant les dix premiers mètres. Simple à mettre en œuvre, cette technique demande néanmoins une bonne connaissance des poissons et du fond marin. Terahara Ryûji, le capitaine de La Pirafu, est heureusement là pour ça. Une variante également pratiquée à bord est la pêche au jig en mer, une technique inventée du Japon, le jig étant un leurre métallique généralement peint et muni d’un triple hameçon.
Mika, la seule femme du groupe, s’avère vite être la pêcheuse la plus adroite, ou du moins la plus chanceuse de la journée. A peine sa ligne à l’eau, elle enchaîne les prises les unes après les autres alors que ses amis, silencieux, doivent faire preuve de patience. Tous se sont mis d’accord pour remettre à l’eau les trop petites prises, mais attraper et relâcher les poissons tue en fait la plupart d’entre eux qui meurent en raison de leurs blessures et de la manipulation.
Munerin après à peine une demie-heure au large commence à se sentir mal, la mer est plutôt calme mais le bateau bouge sans cesse lorsque les moteurs sont à l’arrêt, il se défait de son gilet de sauvetage, s’assoit, pose sa canne en grimaçant, il n’y touchera plus. Le capitaine, qui a l’habitude de clients qui souffrent du mal de mer, prend un peu de la glace qui recouvre les poissons, la glisse dans un sac en plastique et lui conseille de se rafraîchir la nuque. Yûsuke, lui, saute de joie incrédule, il vient de pêcher son tout premier poisson, un très joli hakahata rouge vif.
Les sorties en mer de La Pirafu s’effectuent dans des zones d’environ 10 à 60 mètres de profondeur. Le capitaine, qui scrute les fonds marins à l’aide du sonar, déplace le bateau assez régulièrement en fonction du mouvement des bancs de poissons, les lignes sont remontées alors pendant quelques minutes. Arrivés à un nouvel endroit présumé propice, la capitaine arrête les moteurs, annonce la profondeur “55 mètres !” et donne le feu vert pour que la pêche reprenne. Ainsi se déroule la matinée, de jolis poissons de toutes les couleurs remplissent peu à peu la glacière. Des hakahata, mérous à pointe noire, très fréquents dans les eaux d’Amami, des bars à queue de lune à franges blanches, un poisson-lime à voile filetée, des empereurs aux oreilles rouges, une perche jaune à raies bleues. Tous sont réputés excellents, les discussions à bord tournent donc autour de la façon dont ils seront préparés, sashimi ou barbecue. L’équipe de La Pirafu propose d’ailleurs les services d’un restaurant de poissons partenaire qui prépare et sert à diner les prises des clients.
Les heures passent lentement entre grand soleil et brise de mer et la visite de poissons-volants qui croisent au large du bateau, mais toujours pas de grosses prises. Le propriétaire du bateau, un petit sourire en coin, nous avait prévenus avant la sortie : “Ce sont des débutants, ils risquent de ne pas ramener grand chose et, si la mer se creuse, d’avoir le mal de mer et de se mettre à vomir”. Pourtant, la ligne de Mika, encore elle, semble soudainement prête à se rompre. Elle bataille pendant de longues minutes pensant avoir enfin affaire à un poisson de grande taille. Le capitaine sort de sa cabine et vient lui prêter main-forte. “La ligne s’est accrochée au fond”, tranche-t-il. Et Mika remonte finalement hilare un superbe morceau de corail.
En cas de grosse prise, l’équipe de La Pirafu offre à ses clients une photo souvenir de leur exploit, cela remplace les gyotaku, ces élégantes empreintes souvenir que l’on réalisait autrefois en recouvrant le poisson à peine pêché d’encre noire et en en prenant l’empreinte à l’aide d’un tissu de coton blanc ou d’une grande feuille de papier japonais. La pratique est malheureusement en voie de disparition car elle demande un savoir-faire et beaucoup de patience pour arriver à une impression ressemblante. Le capitaine propose de tenter un dernier endroit, un peu plus au large, dernière chance d’attraper un gros poisson, mais en vain : Yama-chan, le plus expérimenté de la bande, a bien une touche mais sa ligne se brise avant d’avoir pu remonter sa prise.
De retour au port, une photo souvenir du groupe, à peine débarqué de La Pirafu, s’impose : celui qui arbore le plus grand sourire est bien sûr Munerin, peu importe d’avoir laissé filer les poissons, il est enfin sur la terre ferme !
Eric Rechsteiner
Comment s’y rendre
Des vols quotidiens de bi-moteurs à hélices relient Okinoerabu et les villes de Kagoshima (1h30 de vol), Naha, la capitale d’Okinawa, ainsi qu’Ôshima l’île principale d’Amami. Un service régulier de ferry permet également de rejoindre Okinoerabu au départ de Naha (7 heures de mer), Kagoshima (18 heures de mer) ou Amami Ôshima (6 heures de mer).