Berceau du royaume de Yamato, lointain parent du Japon, Asuka reste imprégnée par le célèbre personnage.
Parmi les personnages historiques anciens, celui que les Japonais citeront à coup sûr est Shôtoku Taishi. A la fois homme d’Etat et homme de culture, il a laissé une profonde empreinte dans l’histoire du Japon au point d’avoir figuré sur les anciens billets de 10 000 yens. Notre homme, dont on célèbre en 2022 le 1400e anniversaire de sa disparition, est intimement lié à une région, celle de Nara. Lorsqu’on interroge des Japonais sur celui qui s’est d’abord appelé prince Umayado, la plupart d’entre eux récitent ce qu’ils ont appris à l’école ou bien lu dans de nombreux récits le concernant. En 593, quand l’impératrice Suiko monte sur le trône, son neveu devient prince héritier et régent. En 601, il construit un palais à Ikaruga, au nord-est d’Asuka où se trouvait la capitale impériale, et s’y installe quatre ans plus tard. A l’ouest du palais, il érige le temple Ikaruga, qui deviendra le Hôryû-ji. Ce fervent bouddhiste a commenté divers textes fondamentaux de cette religion, ce qui explique pourquoi de nombreux lieux religieux sont associés à lui dans cette partie du Japon. Sur le plan politique, on lui doit d’avoir établi un ordre hiérarchique au sein de l’administration d’Etat, favorisant la promotion au mérite, et surtout d’avoir promulgué une Constitution fondée sur l’harmonie et la place centrale de l’empereur.
Même si les historiens estiment qu’il faut faire preuve de circonspection à l’égard de toutes les réalisations que le Nihon shoki (Chroniques du Japon) rédigé un siècle après son décès lui attribue, force est de constater que Shôtoku Taishi reste une figure incontournable dans cette région qui fut le berceau du royaume de Yamato dont le fonctionnement s’inspirait du modèle chinois. Il est intéressant de rappeler que Shôtoku Taishi dépêcha des émissaires auprès de la dynastie chinoise des Sui, afin de promouvoir l’intégration de leur culture au Japon. Pour saisir l’importance de cette figure incontournable, nous vous invitons à un petit tour de la région où il a vécu et laissé une empreinte indélébile. Tout commence à la modeste gare d’Asuka sur la ligne Yoshino de la compagnie Kintetsu où l’on peut louer un vélo, moyen le plus commode pour partir à la découverte de l’endroit où est né le prince Umayado au printemps 593. Il faut compter une petite demi-heure pour atteindre Tachibana-dera, dont la légende dit qu’il a été fondé par le prince Shôtoku lui-même, pour rappeler qu’il était né en ce lieu. Le principal objet de culte est une statue qui le représenterait à l’âge de 35 ans sans oublier celle de son cheval préféré Kurokoma. Chaque année, au printemps et en automne, des fans de Shôtoku venus de tout le pays s’y réunissent pour venir admirer le rouleau illustré qui raconte sa vie et qui y est exposé à cette occasion.
A l’ouest du temple Tachibana, on peut admirer les monts Katsuragi et Kongô avant de prendre la direction de l’Asuka-dera connu aussi sous le nom de Hôkô-ji. On y trouve un bronze du Bouddha assis Shakyamuni, la plus ancienne statue bouddhiste du Japon, dont la patine du temps ne manque pas de nous interpeller surtout lorsqu’on apprend que le prince l’aurait eu entre les mains. L’impression de remonter le temps se fait davantage ressentir après la petite montée qui mène au sommet de la colline Amagashi qui offre un point de vue unique sur Asuka. On peut tout à fait imaginer que Shôtoku Taishi y venait régulièrement pour admirer le royaume sur lequel il a eu tant d’influence. Il faut d’ailleurs moins de 5 minutes pour atteindre le Mukohara-dera où se situait le palais Toyura. C’est là que le prince exerça sa régence. Autant dire que le visiteur, pour peu qu’il connaisse un peu le personnage ou du moins la légende l’entourant, a l’impression de plonger au cœur de l’histoire la plus ancienne du pays bien qu’une bonne partie des décisions politiques attribuées au prince ne relèvent sans doute pas de lui directement. Shôtoku semble d’ailleurs considéré la politique avec une certaine distance si l’on se fie à sa célèbre déclaration, “ce monde est vide et faux ; seul Bouddha est réel”, qui témoigne non seulement de sa frustration en politique mais aussi de son adhésion à la religion bouddhiste dont il fut, rappelons-le, l’un des promoteurs.
On dit qu’il a rédigé les commentaires de trois importants soutras bouddhistes connus au Japon sous le nom de Sangyô gisho. Le premier se concentre sur la monarchie politique, le second est le fondement de l’école Tendai et le dernier souligne l’importance des bouddhistes laïcs. Ainsi, la combinaison de ces trois soutras constitue une tentative de solidifier l’autorité politique dans la gouvernance du bouddhisme, ce qui permet de comprendre pourquoi le prince est intimement et durablement lié à de nombreux sites religieux ici et dans d’autres parties du pays.
Le premier d’entre eux est le Hôryû-ji que l’on atteint en 20 minutes à pied au départ de la gare Hôryûji sur la ligne JR Yamatoji, en traversant une zone résidentielle. C’est là, et dans le temple Shitennôji à Ôsaka, que le culte du prince Shôtoku, réincarnation du Boddhisattva Kannon, a pris naissance puisque le nom “Shôtoku” utilisé pour le désigner après sa mort est le fruit de cette déification. Plusieurs historiens estiment qu’il aurait commencé immédiatement après sa disparition. La sculpture en bronze de la triade de Shaka, exposée dans le Kondô du Hôryû-ji, et la broderie Tenjukoku shuchô mandara, présente au Chûgû-ji, qui portent toutes deux une inscription, en seraient la preuve. D’autres soutiennent qu’il a débuté pendant les règnes des empereurs Tenji (661-671) et Tenmu (673-686), lorsque les souvenirs et les récits du prince Umayado ont commencé à être compilés dans le Nihon shoki. Outre le Kondô, la pagode à cinq étages et la porte centrale sont d’origine et sont considérées comme les constructions en bois les plus anciennes du monde. Il n’est pas étonnant que ce “trésor national” ait été le premier site japonais inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1993. Si le prince Shôtoku a été responsable de son édification en 607, c’est l’empereur Yômei qui avait voulu le bâtir pour y installer une statue de Bouddha dans le but de guérir de sa maladie. Celle-ci l’emporte avant qu’il puisse réaliser son vœu, mais le prince l’exauce. A proximité, se trouvait le palais d’Ikaruga où vivait l’impératrice. Le complexe est vaste et une visite complète peut prendre deux à trois heures. En sortant par la grande porte de l’est (Tôdaimon), vous pouvez rejoindre le Chûgû-ji érigé par l’impératrice Anahobe no Hashihito, la mère de Shôtoku. Ce temple est le plus ancien couvent du pays et possède une magnifique statue de Bodhisattva en position du demi-lotus. Remontant à l’époque d’Asuka, son sourire énigmatique suscite la curiosité des visiteurs.
La zone qui entoure Hôryû-ji est propice à une belle promenade qui peut, elle aussi, être faite à vélo. Des bicyclettes sont à louer au centre d’information Hôryû-ji. Ceux que la petite reine rebute peuvent marcher ou bien emprunter un bus qui les emmènera dans les autres endroits liés à l’illustre personnage. La balade en plein air est évidemment le meilleur moyen de plonger dans l’histoire puisque le promeneur suit le chemin qu’a dû parcourir le prince. Le Hôki-ji vaut le détour car sa pagode à trois étages, la plus ancienne du Japon, se fond parfaitement dans le paysage et offre à l’amateur de photographies le loisir de réaliser de magnifiques clichés souvenirs. A l’ouest du temple Hôki, le Hôrin-ji possède lui aussi une pagode à trois étages. Il aurait été fondé par le prince Yamashiro, fils de Shôtoku, pour obtenir la guérison de son père malade. On peut y admirer plusieurs statues bouddhiques classées au patrimoine japonais comme “biens culturels importants”. Et si vous avez la chance de vous y rendre le 15 avril, vous aurez la chance de voir la statue de Myôken, Bodhisattva de l’Etoile polaire, et le Mandala du plafond étoilé qui en temps ordinaire ne sont pas accessibles. Avant de reprendre le train, on peut faire une courte halte à l’Ikaruga-jinja qui se trouve au sud du Hôrin-ji. Ce sanctuaire avait pour vocation de protéger le nord-est du temple Hôryû. En octobre, s’y tient un festival haut en couleur qui vaut le déplacement.
Dernière étape de cette plongée dans l’histoire du prince le plus célèbre du Japon, l’ascension du mont Myôjin dont le sommet offre une magnifique vue sur la région d’Asuka à Ikaruga. On embrasse ainsi tout le territoire sur lequel Shôtoku Taishi a régné et construit sa réputation. On dit que le palais qu’il occupait à Asuka a été déplacé à Ikaruga dans le but de profiter du fleuve Yamato qui descendait vers la mer, permettant à ses ambassadeurs de se rendre en Corée et en Chine. Car il ne faut pas oublier que la plupart des constructions de cette époque, en particulier les premiers bâtiments du Hôryû-ji, ont été réalisées par des artisans originaires du continent. Si après cela, vous hésitez encore à faire un crochet par Asuka, songez que le prince Shôtoku est celui qui aurait utilisé pour la première fois le terme “Nihon”, qui désigne le pays du Soleil-levant en japonais, dans une lettre adressée justement à l’empereur de Chine Yangdi de la dynastie de Sui. “L’empereur du pays où le soleil se lève envoie une lettre à l’empereur du pays où le soleil se couche”, lui aurait-il écrit. Le Chinois n’aurait pas apprécié que le prince utilise cette formule qui donnait à son pays une impression de supériorité sur la Chine dont le nom “Zhongguo” signifie le “pays du milieu”, autrement dit celui auquel les autres doivent se rallier. On peut voir dans cet épisode le début des relations compliquées entre les Japonais et les Chinois, les premiers refusant d’être tributaires des seconds.
Situés à Ôsaka, en particulier l’Eifuku-ji qui abrite le mausolée du prince Shôtoku et qui honore l’empereur Yômei et l’impératrice Anahobe no Hashihito, ou encore dans la préfecture de Shiga, au nord de Nara, avec le Kannon shôji ou encore le sanctuaire shintoïste Aga connu aussi sous le nom de Tarôbôgû, d’autres sites témoignent de l’immense empreinte laissée par ce personnage historique.
Tout en s’appuyant sur les enseignements et les connaissances venus de Chine et de Corée, Shôtoku Taishi a permis à son pays de se doter de trésors architecturaux que l’on peut encore admirer aujourd’hui. Il est tellement rare de nos jours de pouvoir contempler 1 400 ans d’histoire qu’une petite virée dans cette partie du Japon mérite d’être prise en considération lorsque vous commencerez à élaborer votre prochain séjour dans l’Archipel.
Odaira Namihei