Parmi les nombreuses attractions dont elle dispose, la préfecture du nord-est abrite de petits musées très instructifs.
Il existe un Japon à deux vitesses. Celui des Shinkansen où l’on voit les paysages défiler à près de 300 km/h et celui des petites lignes permettant de prendre le temps d’observer le panorama à travers les grandes fenêtres des voitures qui avancent à un rythme tranquille. La préfecture d’Iwate, située au nord-est de l’Archipel, bénéficie de ces deux modes de transport. Le Tôhoku Shinkansen, au départ de Tôkyô, permet en un peu plus de deux heures de relier Morioka, la ville principale, mais aussi Ichinoseki, Kitakami, Shin-Hanamaki, Iwate-Numakunai, Ninohe et Mizusawa-
Esashi. Que cette région très rurale soit aussi bien desservie en termes de train à grande vitesse devrait inciter davantage de touristes étrangers toujours pressés par le temps à s’y rendre car elle ne manque pas d’atouts. Le plus célèbre d’entre eux est Hiraizumi (voir Zoom Japon n°13, septembre 2011) inscrit au Patrimoine de l’humanité par l’Unesco en 2011. Les superbes temples Chûson et Môtsû qui ont permis au site de gagner ce statut sont accessibles, comme nous l’avions écrit dans notre numéro de septembre 2011, à pied à partir de la gare de Hiraizumi située sur la ligne principale JR Tôhoku, autrement dit la ligne classique, parallèle à la ligne à grande vitesse, qui offre des magnifiques vues sur la campagne japonaise composée en majorité de rizières dont les couleurs évoluent au gré des saisons. Le poète Miyazawa Kenji (voir Zoom Japon n°85, novembre 2018) qui est né à Hanamaki et a passé une grande partie de son existence dans cette région en sait quelque chose et il l’a souvent rapporté dans ses écrits. Celui qui fut aussi agronome est une figure incontournable d’Iwate et du Japon.
Il n’est pas le seul. La préfecture d’Iwate a donné au pays d’autres personnages dont la dimension historique est considérable même si la plupart des non-Japonais n’en ont jamais entendu parler. Il faut dire que l’histoire de la première moitié du XXe siècle au Japon est mal connue en Occident alors qu’elle fut particulièrement importante pour le pays. Engagé à la fin du siècle précédent dans une transformation radicale visant notamment à rattraper l’Occident pour ne pas subir le sort peu envieux de son voisin chinois, le Japon a cherché à étendre son influence dans le monde, en particulier en Asie, et a, dans le même temps, plongé progressivement dans une crise politique intérieure sans précédent. Ces deux situations ont fini par coûter très cher au pays au terme de la Seconde Guerre mondiale à laquelle il a largement contribué.
A Mizusawa, que l’on peut atteindre par le Shinkansen (gare de Mizusawa-Esashi) ou par la ligne principale JR Tôhoku depuis Morioka, l’amateur d’histoire contemporaine a la possibilité d’en apprendre beaucoup sur cette période agitée du Japon car la ville a donné naissance à deux personnages clés de cette époque Gotô Shinpei et Saitô Makoto. Le premier, médecin de formation, fut l’un des artisans de l’expansion japonaise à Taïwan après 1895 et en Mandchourie quelques années plus tard. Après la victoire du Japon face à la Chine lors de la guerre de 1894 et alors que Tôkyô obtient Taïwan, il transforme ce territoire en véritable laboratoire pour sa politique de colonisation qu’il mènera ensuite dans la péninsule coréenne, puis au nord-est de la Chine. Gotô Shinpei, qui avait servi comme médecin pendant la guerre, a été remarqué par le gouverneur de Taïwan et nommé responsable des affaires civiles. A ce poste, il entreprend de construire une politique d’implantation tenant compte des populations locales tout en insistant sur la nécessité d’introduire des technologies modernes, en particulier le chemin de fer dont il va être l’un des principaux artisans. Cette approche lui vaut d’être promu en 1906 à la direction de la Société des chemins de fer de Mandchourie du sud (Mantetsu) avant d’occuper des responsabilités gouvernementales à Tôkyô au niveau des communications et du ferroviaire.
Le musée qui lui est consacré à Mizusawa permet de saisir l’importance de la contribution de Gotô Shinpei dans l’histoire contemporaine du pays, d’autant qu’au-delà de son influence dans la stratégie expansionniste du Japon, les Japonais lui doivent d’avoir aussi contribué à la reconstruction de leur capitale détruite en grande partie par le terrible séisme du 1er septembre 1923. Impressionné par la façon dont le baron Haussmann avait remodelé Paris sous le Second empire, il a tenté d’adopter une méthode d’expropriation audacieuse des propriétaires fonciers fondée sur l’expérience parisienne, mais il a dû faire face à une forte opposition des propriétaires terriens. Malgré tout, il a réussi à imposer une bonne partie du réseau des grandes artères dont Tôkyô dispose encore de nos jours. C’est ce qui explique pourquoi les habitants de Mizusawa sont fiers de l’enfant du pays qui a finalement laissé une trace importante dans l’histoire même si, à certains égards, elle a contribué à entraîner le pays dans une spirale de la guerre. Le musée insiste peu sur cette dimension, mais il offre une intéressante plongée dans cette période de l’histoire contemporaine du Japon. Comme souvent, le principal défaut de ce lieu est de n’avoir aucune signalétique dans une autre langue que le japonais. Reste que les documents photographiques permettent de suivre la vie de cet homme dont on mesure l’influence. A environ 300 mètres du musée, sur le chemin qui mène jusqu’au musée consacré à Saitô Makoto, on peut visiter la maison natale de Gotô Shinpei qui n’a d’intérêt que sa modestie.
En continuant tout droit, le visiteur aboutit à l’entrée du petit parking qui, à droite, mène à l’entrée du musée dédié à l’ancien amiral de la marine japonaise devenu homme d’Etat. En tant que gouverneur général de la Corée de 1919 à 1927 et de 1929 à 1931, il a lui aussi participé à cette politique expansionniste japonaise en Asie. Ce n’est pas sur cet aspect de sa vie que les promoteurs du musée ont insisté. Les visiteurs sont accueillis par un portrait en pied du futur conseiller privé de l’empereur et par la malle qui l’a accompagnée jusqu’à Genève en 1927 pour participer à la conférence sur le désarmement. Considéré comme un homme de compromis, il devient Premier ministre de 1932 à 1934 dans une période particulièrement agitée où les gouvernements ont une durée de vie très réduite. Le sien sera l’un des plus longs, mais cela ne l’empêchera pas de devoir quitter sa fonction après un énième scandale. Devenu Gardien du sceau privé du Japon en décembre 1935, fonction importante auprès de l’empereur, il est assassiné lors de la tentative de coup d’Etat du 26 février 1936. Le musée présente de nombreux éléments liés à cet épisode tragique qui contribua à renforcer le rôle des militaires dans la vie politique. Un an plus tard, le Japon se lancera dans la conquête de la Chine avant de s’attaquer aux Etats-Unis en 1941. Le musée ne l’évoque pas, mais le visiteur sait, grâce à ce voyage dans le temps à Mizusawa, que la préfecture d’Iwate vaut vraiment le détour et qu’elle ravira l’historien qui sommeille en nous.
Gabriel Bernard