S'appuyant sur sa longue expérience du Vietnam, Kawashima Hiroyuki tente d'entretenir les liens avec ce pays. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Malgré des relations historiques et une culture proche, le Japon semble se désintéresser du Vietnam. En 2023, le Japon et le Vietnam ont célébré le 50e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Cependant, le lien entre les deux pays est bien plus profond. Nous avons évoqué leur histoire avec Kawashima Hiroyuki, un expert en développement économique qui travaille actuellement comme consultant pour le conglomérat vietnamien Vingroup. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le Vietnam et l’Asie, dont Nihonjin no shiranai Betonamu no shinjitsu [La vérité sur le Vietnam que les Japonais ignorent, Futabasha Shisho, inédit en français]. Comment les relations entre le Japon et le Vietnam ont-elles évolué au fil du temps ?Kawashima Hiroyuki : Historiquement, les premiers échanges semblent remonter à la période Edo (1603-1868), il y a plusieurs centaines d’années. Cependant, ils ne sont pas très importants et sont peu documentés. Plus important encore, le Japon a occupé le Vietnam pendant la Seconde Guerre mondiale, juste au moment où cette nation tentait d’obtenir son indépendance de la France. A cette époque, le Japon avait déjà envahi la Chine, et les Etats-Unis et le Royaume-Uni envoyaient du matériel de secours à Chongqing via le Vietnam pour soutenir le gouvernement nationaliste chinois de Tchang Kaï-chek. Pour empêcher cela, le Japon a occupé Hanoï et ses environs en 1940. Certains Vietnamiens s’en souviennent encore. Cependant, l’occupation japonaise n’a pas été aussi traumatisante que dans d’autres pays asiatiques, et comme elle s’est produite il y a près de cent ans, la plupart des Vietnamiens d’aujourd’hui s’en soucient peu. Une autre raison, bien sûr, est que la mémoire historique au Vietnam se concentre principalement sur la guerre du Vietnam ou la guerre américaine, comme on l’appelle là-bas. Je n’ai donc jamais rencontré de Vietnamien se plaignant de l’occupation japonaise.Il faut également tenir compte du fait que, si, le Japon a occupé le Vietnam de 1940 à 1945, à l’époque, la guerre contre la Chine, son principal ennemi, épuisait les finances et la logistique du pays. Le Japon ne pouvait donc pas se permettre d’occuper complètement le Vietnam. C’est pourquoi, finalement, il a fini par co-gouverner le pays avec le gouvernement de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain. Concrètement, le Japon n’a guère interféré dans les affaires intérieures du Vietnam. Par exemple, il n’a pas imposé l’éducation japonaise ou quoi que ce soit de ce genre, comme il l’a fait en Corée et à Taïwan (voir Zoom Japon n°143 et n°144, septembre et octobre 2024).Pendant la guerre du Vietnam, le Japon a joué un rôle de soutien important, en fournissant une aide financière et des fournitures aux troupes américaines. Cependant, il n’a pas participé directement à la guerre, donc je ne pense pas que les Vietnamiens considèrent le Japon comme un agresseur. Au contraire, tout le monde sait que le Japon a utilisé l’aide publique au développement (APD) pour construire des ponts et des chemins de fer dans les années 1990 et aider financièrement leur pays, en particulier entre 2000 et 2010. Le Japon a même aidé le Vietnam à construire le tout nouveau métro de Hô-Chi-Minh-Ville, et ils en sont très reconnaissants.En ce sens, les relations entre le Japon et le Vietnam sont bonnes. Je suis actuellement conseiller auprès d’une entreprise vietnamienne et je n’ai jamais eu l’impression de susciter des ressentiments du simple fait d’être Japonais. Au contraire, beaucoup de gens me respectent et font preuve d’une attitude positive en raison de ma nationalité.Les Vietnamiens ne font généralement pas la différence entre les Japonais et les Coréens. Actuellement, il y a beaucoup de Coréens au Vietnam, et lorsque je vais au restaurant, le personnel pense souvent que je suis Coréen. Cependant, lorsqu’ils se rendent compte que je suis Japonais, ils sont étonnamment gentils avec moi. Certaines personnes sont très directes et disent des choses comme : “Je déteste les Coréens, mais j’aime les Japonais”.La raison de leur animosité envers les Coréens est que la Corée du Sud, contrairement auJapon, a participé à la guerre du Vietnam et a envoyé environ 300 000 soldats combattre au Sud-Vietnam. Il y a eu de nombreux cas où des soldats coréens ont massacré des Vietnamiens. La Corée du Sud ne s’est jamais officiellement excusée pour cela. Elle a plutôt maintenu une attitude consistant à nier cette réalité.Comme vous le savez, dans les relations entre le Japon et la Corée (voir Zoom Japon n°47, février 2015), les femmes de réconfort et d’autres questions liées à l’occupation sont sources de problèmes, et la Corée du Sud exige souvent que le Japon présente davantage d’excuses et verse des indemnités. Le Vietnam, cependant, n’a jamais eu une telle attitude envers la Corée du Sud. Il y a eu des cas où des individus ont poursuivi l’armée coréenne, mais le gouvernement a adopté une attitude relativement calme. Je pense que c’est parce que la position actuelle du Vietnam sur la scène internationale n’est pas très forte et qu’il a besoin des investissements coréens.Comme je l’ai dit, le Vietnam a mené de nombreuses guerres et a été envahi par la Chine à plusieurs reprises. A chaque fois, ils ont fait de nombreux sacrifices. En ce sens, je pense qu’ils ont le sentiment que la guerre est une fatalité et qu’ils ne peuvent rien y faire. C’est l’impression générale que j’ai retirée de mes six années de travail pour des entreprises vietnamiennes. Vous avez récemment déclaré que le Japon et le Vietnam étaient semblables, presque comme des frères. Faisiez-vous référence à leurs similitudes culturelles ?K. H. : Oui. Tout d’abord, le Japon et le Vietnam sont proches de la Chine et leurs peuples utilisaient autrefois les caractères chinois. Actuellement, le Vietnam n’utilise plus de kanji (caractères chinois), mais par exemple, le président Hô Chi Minh écrivait dans le style chinois classique.La religion est un autre point commun entre le Japon et le Vietnam. Tous deux ont reçu le bouddhisme mahayana par l’intermédiaire de la Chine et, par rapport aux chrétiens et aux musulmans, ont une attitude plus libre envers la religion. Par exemple, au Japon, les gens sont baptisés dans un sanctuaire shintoïste tandis que les funérailles ont lieu dans des temples bouddhistes, et aujourd’hui, beaucoup de gens aiment célébrer leur mariage à la manière chrétienne. Il en va exactement de même pour les Vietnamiens. Ainsi, aucune des deux nations n’a un fort attachement à la religion. Leur attitude envers la vie est très similaire.Mais encore,...