Depuis 1970, ce haut lieu de l’art japonais se distingue aussi par un jardin exceptionnel qui attire des milliers de visiteurs.
Au Japon, la plupart des musées les plus intéressants ont été créés par de riches industriels qui ont décidé de consacrer une partie de leur fortune à la constitution de collections d’art. Dans bien des cas, c’est la peinture occidentale qui a été privilégiée comme en témoigne, par exemple, le musée d’art Ohara à Kurashiki. Créé en 1930 par Ohara Magosaburô qui s’était enrichi grâce au textile, ce musée dispose d’une impressionnante collection de peintures et de sculptures européennes. L’entrepreneur Adachi Zenkô est un autre représentant de cette génération d’entrepreneurs talentueux. Avec sa richesse amassée notamment dans l’immobilier, il décide de se lancer dans la collection d’art japonais et s’intéresse notamment à la peinture moderne. Au fil des annnées, il achète ce qui se fait de mieux et finit par disposer de trésors signés Yokoyama Taikan, Sakakibara Shihô, Hashimoto Kanetsu ou encore Uemura Shôen, la fine fleur de la peinture japonaise née à la fin du XIXème siècle qui a bouleversé le monde des arts au Japon.
Disposant de toutes ces toiles et d’autres objets de la même époque, Adachi Zenkô décide de créer un musée dans sa ville natale de Yasugi. Située dans la préfecture de Shimane, à l’ouest de l’archipel, cette petite cité ne vaut que par cet établissement créé en 1970 qui dispose d’un autre argument : son jardin japonais. “Lorsque j’ai pris la décision de construire un musée d’art, il m’est apparu qu’un jardin japonais, quintescence du sens artistique des Japonais, s’imposait car il correspondait le mieux à la beauté de la peinture japonaise”, expliquait le magnat dans ses mémoires parues en 2007 à titre posthume.
Faisant appel à l’une des plus grandes autorités en matière de jardin, Nakane Kinsaku, pour qu’il dessine ce jardin divisé en six parties, Adachi Zenkô voulait que le résultat soit à la hauteur des œuvres exposées à l’intérieur de son musée. “J’avais été très impressionné par le jardin japonais du temple Unju-ji que je fréquentais quand j’étais enfant”, poursuivait-il dans son livre de souvenirs. La création du jardin est tellement importante à ses yeux que l’homme d’affaires participe lui aussi à la conception et le fait évoluer au fil des années pour qu’il prenne sa forme actuelle. C’est d’ailleurs le point fort sur lequel les responsables du musée s’appuie aujourd’hui pour communiquer. Lorsqu’on arrive sur place, plusieurs panneaux indiquent au visiteur que le jardin a obtenu trois étoiles dans le Guide vert Michelin (peut-être ajoutera-t-on bientôt les trois “yeux” du guide Le Japon vu du train de la collection Zoom Japon ?). Il y a surtout une stèle qui annonce fièrement que la revue américaine Sukiya Living Magazine (The Journal of Japanese Gardening) a classé pour la neuvième année consécutive à la première place des jardins japonais dans le monde.
Cette distinction n’est pas volée, car le jardin qui s’étend plus de 16 hectares est une véritable œuvre d’art conçue comme telle. En effet, pour son concepteur comme pour Adachi Zenkô, les cinq jardins (jardin paysager sec, un jardin de mousses, un étang, un jardin de graviers blancs, un bois de pins) sont un tableau vivant qui change avec les saisons et se contemple comme une peinture. Il n’est donc pas question de déambuler dans ce vaste espace, mais bien de l’admirer comme on le ferait d’une œuvre derrière une vitrine. La visite du musée commence d’ailleurs par celle du jardin qui épouse les contours des bâtiments. D’immenses baies vitrées servent ainsi de “cadres” au jardin, lequel incarne la beauté du monde. Au fond, une cascade artificielle de 15 mètres de hauteur créée huit ans après l’ouverture du musée laisse à penser que le jardin sera traversé par une belle eau limpide. En fait, celle-ci est figurée par le gravier blanc qui tranche avec le vert des arbres et le gris des rochers qui rappellent les montagnes. La création du jardin s’est faite par petites touches. Adachi Zenkô rappelle dans ses mémoires qu’il venait chaque jour apporter quelques corrections pour que le jardin atteigne le niveau de perfection qu’il souhaitait.
Le résultat est à la hauteur de ses ambitions. Il constitue une introduction de choix au reste de la collection très riche. Avant de quitter le rez-de-chaussée et ce magnifique jardin, on peut faire une halte dans l’un des deux salons de thé. Au tour d’un excellent thé vert et d’une pâtisserie, on pourra encore profiter pendant quelques minutes de cet agencement minutieux destiné à créer un monde parfait. Inutile de se presser, d’autant que les changements de lumière à certains moments de la journée permettent de mettre en valeur certains détails qu’on n’aurait pas remarqué plus tôt ou plus tard. Cela dit, la visite des autres salles justifie qu’on finisse par abandonner le jardin. Au premier étage, on trouve ainsi l’une des plus belles sinon la plus belle collection d’art moderne japonais. La vedette de cet ensemble s’appelle Yokoyama Taikan. Celui qui fut, en 1889, l’un des premiers diplômés de l’Ecole des beaux-arts de Tôkyô a joué un rôle crucial dans la redéfinition de la peinture japonaise. Adachi Zenkô, très sensible à la manière dont ce peintre abordait la reprsentation des paysages, a accumulé une impressionnante collection de ses œuvres grâce à laquelle on peut voir de quelle façon il a évolué, en introduisant notamment des techniques occidentales. Dans la salle qui lui est consacrée, on retrouve son fameux Feuilles rouges (Kôyô) réalisé en 1931 à l’âge de 64 ans. Une œuvre de plus de 7 mètres de long qui traduit la maturité de son style. D’autres artistes de la même époque sont aussi exposés. L’homme d’affaires a acheté des centaines d’œuvres qui sont exposées par roulement en fonction des saisons. On soulignera la présence de tableaux de Kawai Gyokudô ou encore Takeuchi Seihô qui fut avec Yokoyama l’un des moteurs de la modernisation de la peinture japonaise. Intéressé par le mouvement Mingei qui, au milieu des années 1920, militait en faveur d’une revalorisation de l’artisanat populaire, Adachi Zenkô lui a consacré une partie de son musée où l’on peut admirer de splendides objets.
La fondation Adachi continue à enrichir la déjà très fournie collection, en mettant notamment l’accent sur la peinture contemporaine. Chaque année, elle organise à l’automne une exposition des nouveaux artistes japonais et décerne un prix dont la réputation ne cesse de grandir. Cela lui permet aussi d’acquérir des œuvres de jeunes peintres très prometteurs comme Miyakita Chiori. Voilà autant de bonnes raisons de se rendre à Yasugi. De là, vous pourrez vous rendre à Matsue situé à une vingtaine de kilomètres ou à Yonago (même distance) d’où il est possible de rejoindre Sakai Minato, la ville natale d’un immense artiste, le mangaka Mizuki Shigeru (voir Zoom Japon n°3).
Odaira Namihei
S’y rendre :
Adachi bijustukan 320 Furukawa-chô, Yasugi, 692-0064 – Tél. 0854-28-7111. 2200 yens.
Ouvert de 9h à 17h30 (17h d’octobre à avril).
Situé à une vingtaine de minutes de la gare de Yasugi que l’on atteint en 2h25 au départ d’Okayama, le musée est accessible par une navette gratuite (11 rotations par jour).
www.adachi-museum.or.jp