Créé en 1912 dans le but de favoriser le tourisme étranger dans l’archipel, le Japan Tourist Bureau a beaucoup changé.
La nouvelle est passée presque inaperçue, mais le 17 août, les autorités japonaises ont publié les chiffres concernant le nombre de touristes étrangers qui ont séjourné, au mois de juillet, dans l’archipel. Ils étaient 845 000, un chiffre en progression de plus de 50 % par rapport à l’année précédente. Les événements du 11 mars de 2011, notamment l’accident de Fukushima, avaient conduit de très nombreux touristes à remettre leur voyage au Japon. La dramatique baisse de la fréquentation étrangère était une très mauvaise nouvelle, car le tourisme est très clairement un secteur sur lequel les pouvoirs publics comptent pour relancer une économie en crise. Depuis plusieurs années, ils multiplient les campagnes et redoublent d’efforts afin de faire de leur pays une destination prioritaire pour les étrangers. L’objectif étant d’accueillir 30 millions de visiteurs par an. Cette débauche d’énergie, qui commençait à porter ses fruits avant le printemps 2011 et qui semble à nouveau donner des résultats, rappelle une situation vieille d’un siècle.
Il y a très exactement 100 ans, le Japon créait le Japan Tourist Bureau que l’on connaît aujourd’hui sous son acronyme JTB. Cette entreprise, qui célèbre donc cette année son centenaire, joue un rôle important dans le secteur touristique au Japon. Si elle concentre actuellement la quasi totalité de son attention à la clientèle japonaise, sa vocation première était d’inciter les étrangers à venir découvrir les charmes touristiques de l’empire du Soleil-levant. A l’époque, le Japon souffrait déjà d’un déficit en termes d’image. Il avait beau avoir triomphé de la Russie en 1905 et réussi à s’imposer en Corée, l’archipel ne parvenait pas à se débarrasser de cette réputation de pays certes puissant sur le plan militaire, mais arriéré sur le plan culturel. Cette perception était particulièrement enracinée en Occident en ce début de XXème siècle et portait préjudice aux ambitions politiques du Japon qui souhaitait être traité sur un pied d’égalité par les autres puissances de la planète. La meilleure façon de parvenir à ce résultat, c’était de s’assurer que les étrangers viennent se rendre compte par eux-mêmes de ce qu’était réellement le pays.
C’est ce que pensait un jeune fonctionnaire qui travaillait au sein du puissant ministère des Chemins de fer de l’Etat. Kinoshita Toshio, c’est son nom, avait pris conscience de cette nécessité lors d’un long séjour en Europe. Il avait constaté avec regret que les personnes qu’il côtoyait ne possèdaient pas la moindre connaissance de son pays. La presse se contentait de diffuser des poncifs et d’entretenir les stéréotypes. Il y avait donc peu de chances que les choses évoluent si le Japon ne prenait pas lui-même des initiatives. Pour Kinoshita, la seule façon de redresser l’image de son pays, c’était d’amener les étrangers à visiter l’archipel et à en découvrir les beautés. “Une expérience directe vaut plus qu’un beau discours ou des centaines de livres”, expliqua-t-il à son retour.
Avec son enthousiasme, il parvint à convaincre Hirai Seijirô, en charge des chemins de fer de l’Etat et du tourisme, de le soutenir auprès du gouvernement. Ce fut chose faite et Kinoshita fut désigné pour créer et diriger le Japan Tourist Bureau dont la mission était de promouvoir le tourisme auprès des étrangers, en les assistant dans leurs démarches et en leur facilitant leur séjour. Pour s’assurer des recettes complémentaires au budget assuré par l’Etat, Kinoshita eut l’idée de créer un service de ventes de billets de train. En mars 1912, le Japan Tourist Bureau voyait ainsi le jour avec comme objectif d’ouvrir des agences à l’intérieur des frontières (9) notamment dans la capitale et dans les ports importants principaux points d’entrée pour les touristes étrangers. Il fallait aussi et surtout créer des agences (30) dans le reste du monde, en particulier dans les grands ports à l’étranger. Rappelons qu’à l’époque le bateau était le meilleur moyen d’atteindre le Japon. Pour la France, Marseille était évidemment sur la liste prioritaire du Japan Tourist Bureau au même niveau que Paris, la capitale.
Outre l’établissement de ces bureaux de représentation et de ces agences, l’organisme public a mis en œuvre une politique de promotion très active qui n’a rien à envier aux efforts fournis de nos jours par l’Office du tourisme du Japon. Depuis quelques années, les autorités nippones ont lancé la campagne Visit Japan. A la fin des années 1910, le Japan Tourist Bureau participe à l’élaboration d’une campagne baptisée Beautiful Japan. Utilisant tous les moyens modernes de communication, notamment le cinéma, il montre qu’il est prêt à mobiliser de gros moyens pour promouvoir le tourisme auprès des étrangers. La réalisation du film est confiée à l’Américain Benjamin Brodsky qui va parcourir près de 10 000 kilomètres en train pour rapporter des images des plus beaux endroits de l’archipel et les diffuser dans les salles de cinéma du monde entier. Quelques années auparavant, en juin 1913, le Japan Tourist Bureau publie le premier numéro du magazine intitulé The Tourist dont le contenu sera publié en anglais à compter de sa troisième livraison. La fin de la Première Guerre mondiale est propice à ses activités et le nombre de visiteurs étrangers dans l’archipel enregistre une sérieuse hausse au lendemain de la signature l’armistice de 1918, mais cela est insuffisant pour faire évoluer les mentalités occidentales à l’égard du Japon qui reste, aux yeux des Européens ou des Américains, un pays un peu trop ambitieux. Compte tenu de cette situation, les nouveaux responsables du Japan Tourist Bureau cherchent à encourager le gouvernement dans une politique en faveur du tourisme intérieur. Progressivement, tout en continuant la promotion touristique auprès des étrangers, l’organisme se lance dans des opérations qui visent les Japonais. Ils mettent en place avec le soutien des chemins de fer publics des offres promotionnelles et financent Tabi [Voyage] le premier magazine consacré aux voyages et publié dans le pays. Cette mutation est d’autant plus nécessaire que la montée du militarisme au Japon n’est pas de nature à encourager les visiteurs étrangers à s’y rendre. Mis au ban de la Société des Nations après son entrée en guerre contre la Chine en 1931 et la création de l’Etat fantoche du Mandchoukuo, le Japon voit son image se détériorer et les efforts consentis par le Japan Tourist Bureau sont vains. Après la guerre, l’organisme public devient une entreprise commerciale tournée essentiellement sur le marché intérieur. Il n’est plus question de clientèle étrangère. Les Japonais sont privilégiés. Dans un premier temps, compte tenu de l’interdiction de voyage à l’étranger, l’accent est mis sur le tourisme local. Puis, avec la levée de la règlementation sur les déplacements hors de l’archipel en 1964, l’entreprise, dont l’acronyme est préféré au nom développé, participe activement au développement du tourisme à l’étranger. L’enrichissement de la population, l’avènement des avions gros porteurs comme le 747 de Boeing à la fin des années 1960 est une aubaine pour JTB qui devient un acteur majeur. Une situation qui dure jusqu’au début des années 1990. JTB est partout dans le monde, accompagnant les Japonais dans leur découverte de l’étranger. Mais la crise et l’émergence de concurrents moins chers le fragilisent. C’est la raison pour laquelle un siècle après sa création, JTB revient à ses premières amours : le client étranger. Cette fois, il ne s’agit plus d’offrir des services gratuits, mais de proposer à des touristes étrangers plutôt huppés des services hauts de gamme. Bref, JTB veut mettre en avant l’une des forces du Japon : la qualité du service. La création du Royal Road Ginza Global dans le quartier de Ginza, à Tôkyô, réputé pour ses boutiques de luxe témoigne de ce retour aux sources. Chez JTB, 100 ans plus tard, on semble se rappeler les paroles de Kinoshita Toshio sur l’importance des touristes étrangers pour améliorer la perception du Japon à l’extérieur de ses frontières. Gageons maintenant que l’entreprise ne tombera pas dans le travers qui consiste à ne s’intéresser qu’aux plus riches.
Gabriel Bernard