Les fans de pop coréenne sont de plus en plus nombreux au Japon. C’est dans ce quartier qu’on les retrouve. Visite guidée.
Les rapports entre le Japon et la Corée ont toujours été chaotiques. L’annexion de la péninsule coréenne en 1910 par l’empire du Soleil-levant a laissé un goût amer chez les Coréens qui ont longtemps eu du mal à oublier le joug nippon. Par ailleurs, les Japonais ont souvent considéré par le passé les personnes d’origine coréenne comme des fauteurs de troubles ou des êtres maléfiques. En 1923, au lendemain du séisme qui avait ravagé la région de Tôkyô, des centaines de Coréens ont perdu la vie à la suite de rumeurs les accusant d’être responsables de tous les malheurs qui frappaient le pays. Utilisés comme main-d’œuvre dans l’archipel pendant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de personnes originaires de la péninsule sont restées coincées au Japon après 1945. Les Zainichi [ceux qui sont restés au Japon], comme on les a surnommés, ont subi toutes sortes de discriminations qui, avec le temps, se sont heureusement estompées. Le temps aidant à panser les blessures (même si toutes les plaies ne sont pas refermées), les jeunes générations des deux côtés du détroit de Tsu-shima ont fini par mieux s’accepter et s’ouvrir à la culture du voisin. La Coupe du monde de football coorganisée par la Corée du Sud et le Japon en 2002 a joué en ce sens un rôle déterminant, puisque les autorités coréennes ont levé les restrictions sur les importations de produits culturels japonais, tandis que les Japonais commençaient à s’intéresser de plus en plus à la culture venue de Corée. Près de dix ans après cet événement, l’intérêt pour la culture pop made in Korea ne cesse de croître. Résumé par l’expression K-pop (Korean pop) en opposition à la J-pop (Japanese pop), cet engouement concerne toutes les couches de la population. Ce fut d’abord les Japonaises dans la quarantaine qui tombèrent amoureuses de la série Fuyu no sonata [Sonate d’hiver] à partir du printemps 2003 et de ses acteurs avant que cette attirance ne touche un public plus large et dépasse le cadre de la télévision. Peu à peu la musique est devenue un des vecteurs les plus importants dans la diffusion de la culture coréenne dans l’archipel. Les groupes ont commencé à déferler, attirant chaque jour de nouveaux amateurs prêts à succomber à leur charme et à leur talent. Pour profiter à fond de leur passion, certains fans n’hésitaient pas à faire le déplacement vers la Corée voisine, se rendant sur les lieux de tournage de leurs séries préférées ou à des concerts. Même si le nombre de Japonais, qui font le voyage dans la péninsule pour assouvir leur passion, reste très élevé, ils peuvent tout aussi bien se plonger dans l’univers coréen à Tôkyô. D’une part, les publications consacrées à la K-pop ont poussé comme les champignons après une averse. D’autre part, le quartier de Shin-Ôkubo est devenu le rendez-vous obligé de tous ceux qui consomment la culture coréenne. Du supermarché à la boutique de CD, en passant par les restaurants spécialisés, tout ce que la Corée compte d’intéressant s’y trouve.
Situé au nord de Shinjuku sur la ligne Yamanote, équivalent de la petite ceinture à Paris, le quartier de Shin-Ôkubo s’est imposé depuis 5 ans comme le lieu incontournable des amoureux des stars de la K-pop. En l’espace de quelques années, ce lieu cosmopolite, où vivait une partie de la population immigrée de la capitale, s’est peu à peu transformé en bastion coréen. Les femmes au foyer tombées sous le charme de Bae Yong-joon, star de la série Fuyu no sonata, contribuèrent grandement à transformer ce quartier avec ses petites épiceries en un espace spécialisé dans les produits culturels coréens. Aujourd’hui, la population que l’on rencontre le plus dans les rues de Shin-Ôkubo est principalement composée d’adolescentes et de jeunes adultes, en quête des dernières nouveautés en provenance directe de Séoul. Le boom des boys bands coréens y est pour beaucoup. BigBang ou encore Dongbang Singi, pour ne citer que ceux-là, ont détrôné une partie des vedettes nippones tandis que les groupes féminins comme Kara et Sonyeo Sidae (Girls’ generation) ont commencé à faire de l’ombre à leurs homologues japonaises. Peu à peu, la mode est en train de changer sous l’influence coréenne, ce qui n’est pas forcément du goût de tout le monde. Récemment des manifestations ont été organisées pour dénoncer cette montée en puissance de la culture coréenne dans l’archipel. Malgré le mécontentement des défenseurs de la culture pop japonaise, force est de constater que l’intérêt pour les artistes coréens ne cesse de croître. En d’autres termes, pour être branché au Japon en 2011, il faut oublier Shibuya, Harajuku et même Roppongi pour se rendre d’urgence à Shin-Ôkubo. C’est le meilleur moyen de prendre le pouls du Japon.
A la sortie de la gare, on est très vite happé par la foule qui nous entraîne vers les nombreuses boutiques qui suscitent tant de convoitises. La première d’entre elles est à quelques pas de la gare. C’est pour cette raison que Hanryû Hyakkaten est souvent bondé. On y trouve bien évidemment les CD des artistes coréens, mais aussi tout un tas de gadgets et produits dérivés dont raffolent les fans. C’est aussi un endroit intéressant pour celles et ceux qui cherchent à ressembler à leurs idoles. En effet, on vient dans ce quartier parce qu’on s’identifie totalement aux vedettes coréennes. Elles ont, semble-t-il, un truc de plus que les artistes japonais, et à la différence des stars occidentales qu’un Japonais a plus de mal à imiter, celles venues de Corée sont bien plus faciles à copier. Il y a une proximité de culture qui n’a échappé à personne. En tout cas à Shin-Ôkubo, tout est fait pour inciter les visiteurs à se mettre dans la peau d’un Coréen. La présence dans les rues du quartier d’un jeune talent en provenance de Séoul provoque régulièrement des attroupements, les uns réclamant des autographes, les autres voulant prendre une photo. Bienvenue à Shin-Ôkubo ! Lorsqu’on quitte la grande artère Ôkubo dôri pour s’enfoncer vers la droite dans de plus petites rues, on a l’impression en levant la tête en direction des enseignes d’avoir quitté Tôkyô pour se retrouver au cœur de Séoul. Mais très vite, on est ramené à la réalité par les rires et les voix de Japonaises qui, d’un pas décidé, se dirigent vers un autre magasin spécialisé où elles pourront dénicher d’autres merveilles. L’un des plus prisés est implanté dans la Korean Town dôri. Moiza honten est très apprécié parce que son personnel parle un japonais parfait et est ainsi en mesure de répondre à toutes sortes de questions sur les dernières tendances de l’autre côté du détroit de Tsushima. Devant le succès de la boutique qui, vue de l’extérieur, ne paie pas de mine, ses propriétaires ont ouvert une annexe à une centaine de mètres de là baptisée simplement Moiza 2. Un peu plus bas dans la même rue, le Korea Plaza bénéficie aussi d’un grand intérêt de la part des fans de K-pop. Ce bâtiment moderne propose à la fois toutes sortes de publications sur les stars coréennes, dont bon nombre d’entre elles ne sont pas écrites en japonais, et au rez-de-chaussée des CD et des DVD. On en ressort rarement les mains vides. Il est amusant de voir les clientes passer de longues minutes à feuilleter, commenter et rêver devant les pages de papier glacé. A force de les voir, vous finirez peut-être par y prendre goût et ramener un souvenir coréen de Tôkyô.
A force de marcher, de piétiner et d’être entraîné par la foule, la fatigue se fera sans doute sentir. Il sera temps alors d’aller profiter d’un bon repas dans l’un des très nombreux restaurants de Shin-Ôkubo. Les Japonais apprécient beaucoup la cuisine coréenne, en ce sens qu’elle est plus relevée que la leur réputée plus raffinée. Cependant, ne vous attendez pas à échapper à la fièvre K-pop dans ces endroits. La plupart des établissements doivent non seulement leur notoriété à la cuisine qu’ils servent, mais aussi et peut-être surtout aux prestigieux visiteurs qui les ont fréquentés. Quand on parle de prestigieux visiteurs, on veut évidemment parler des vedettes qui ont daigné prendre un repas chez eux. Dès lors que Dongbang Singi, Jang Keun-suk ou Cho Shin Sung se sont rendus dans tel ou tel restaurant, les fans de ces groupes ou artistes viennent à leur tour goûter les mêmes plats. Sur les murs du Han Salam, on peut choisir sa place en fonction de ses préférences musicales ou télévisuelles puisqu’un grand nombre de stars coréennes y sont venues notamment goûter son fameux samgyetang (soupe de poulet au ginseng). Un vrai régal pour 1380 yens (1500 yens le soir). Tonchang est un autre lieu très apprécié surtout depuis que Jang Keun-suk, acteur, chanteur et mannequin à ses heures, devenu la coqueluche des jeunes Japonaises, y a fait une halte. On y sert une cuisine simple et familiale pour un prix modéré. Son misonabe, mijoté de légumes et de tofu, vaut le déplacement (980 yens). Seul bémol, le lieu n’est pas grand. On y fait donc souvent la queue.
S’il vous reste encore quelques forces en réserve, vous pouvez ensuite vous rendre dans l’une des nombreuses salles proposant des concerts comme le K-pop live situé non loin de la gare en face du Geinôjin Hiroba, boutique spécialisée dans l’univers de la variété coréenne. Après avoir passé quelques heures à arpenter Shin-Ôkubo à la découverte de cet étrange engouement nippon pour la culture pop coréenne, vous serez sans doute heureux de reprendre le train et de descendre à Shinjuku, la station suivante, ou Shibuya, un peu plus loin, pour faire le plein de Japon comme vous en rêviez.
Gabriel Bernard