Le matsuri est un moment de communion au cours duquel tous les Japonais se rassemblent quelle que soit leur origine. Dans son bureau au cœur du vieux quartier d'Asakusa, Watanabe Takeshi se prépare à participer au Sanja matsuri, la fête des trois temples. Il a noué une serviette autour de son cou et mis sur ses habits blancs la veste traditionnelle happi qui représente sa rue. “Ceux qui ont un happi peuvent porter le mikoshi, l’autel des dieux. C’est la coutume !”, dit-il en montrant fièrement son nom cousu sur l'encolure. M. Watanabe est un yakuza, mais cela ne l'empêche pas de célébrer comme un million de Japonais l’un des plus grands festivals shintô du pays en l'honneur de la déesse Kannon. “Les yakuzas participent depuis cinq siècles au Sanja matsuri, même si on cherche à nous éliminer, nous serons toujours là !” rit-il. Il est un des sous-chefs de Sumiyoshi-kai, la deuxième plus grosse organisation criminelle japonaise qui en compte officiellement 22. La mafia japonaise, environ 80 000 membres, bénéficie d’un statut quasi officiel, comme le montrent les innombrables films et mangas qui lui sont consacrés. Cependant, les yakuzas doivent rester cachés et leur présence au grand jour n'est pas tolérée. Sauf pendant les matsuri. “Dans la tradition shintô, le matsuri est jour de hare, à l’opposé du ke qui renvoie au quotidien de tous les jours. Le hare désigne les moments spéciaux de la vie où il faut se faire remarquer, sortir de l’ombre”, explique Miyata Junichi qui fait partie d’une association des mikoshi. Le portage du mikoshi a toujours été une occasion de rassembler yakuzas et katagi (les citoyens ou non-yakuzas). Car comme nos forains et troubadours qui animaient les villages, l’ancêtre du yakuza était le tekiya, un camelot sous l’autorité d’un oyabun (parrain), qui organisait les stands des fêtes et qui allait canaliser petit à petit la violence dans les bas-fonds. Un monde décrit à merveille par Philippe Pons dans son livre Misères et crimes au Japon. “Il y a trois types de personnes qui portent le mikoshi, les gens du sanctuaire, les gens ordinaires et les yakuzas. Tous ceux-là se retrouvent ensemble comme une entité formant un même quartier, une même force pour honorer les dieux”, résume M. Miyata. Comme pour illustrer cette réalité, un mikoshi porté par des hommes et des femmes traverse la rue, suivi par un petit orchestre de tambours et de flûtes. Guidé par un prêtre shintô qui agite sa branche de pin sacré pour bénir le quartier, le palanquin divin oscille de haut en bas et de gauche à droite dans un brouhaha de “Oissa ! Oissa !” avant de se poser devant le bureau du clan Watanabe. “C’est l’accueil traditionnel. Certains magasins, restaurants ou entreprises offrent aux porteurs du mikoshi des boissons et des snacks en signe de prospérité”, explique M. Watanabe. La devanture de son bureau s’est ainsi transformée depuis trois jours en guinguette où les enfants accourent pour prendre des bonbons et où les gens du quartier s’échangent les boniments dans le pur esprit du matsuri. “ll ne s'agit pas de pots-de-vin, mais de conserver l'équilibre social et la solidarité”, précise l'un des membres du clan Yamasawa Hitoshi. Le corps couvert de tatouages traditionnels ou irezumi, il est habillé dans le simple apparat des sumos, avec un fundoshi, un cache-sexe qui laisse ses fesses à l’air, sans que cela ne choque personne. “Quand on porte le mikoshi...