A la gare de Fukaya, dans la préfecture de Saitama, ville natale de l’entrepreneur. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Ayant bénéficié d’une bonne éducation, le jeune homme a su en profiter pour devenir un véritable visionnaire. Plusieurs livres ont été publiés récemment sur la vie et l'œuvre de Shibusawa Eiichi. L'un des ouvrages les plus pénétrants et les plus perspicaces est la biographie de Shimada Masakazu, professeur d'administration des affaires à l'université Bunkyô Gakuin, qui a eu la gentillesse de nous partager son point de vue sur le “père du capitalisme japonais”.L’entrepreneur a joué un rôle plus important dans l’histoire de l’économie japonaise que des magnats tels qu’Iwasaki Yatarô de Mitsubishi, Matsushita Kônosuke de Panasonic et Morita Akio de Sony. Pourtant, il est encore assez méconnu, tant au Japon qu’à l’étranger. “Mitsubishi, Panasonic et Sony sont des marques grand public très connues. Leurs produits sont omniprésents et leurs fondateurs ont été loués pour leur ingéniosité dans la création d’entreprises à succès. D’un autre côté, bien que Shibusawa ait fondé de nombreuses entreprises, une seule a survécu sous son nom, The Shibusawa Warehouse Co., Ltd, une assez petite entreprise spécialisée dans l’entreposage, le transport et l’immobilier”, note l’universitaire. “Bien sûr, de nombreuses autres sociétés sont toujours en activité, mais personne ne sait qu’elles ont été créées par lui. En d’autres termes, il est une sorte de présence omniprésente mais invisible. Son influence sur l’économie japonaise se fait encore sentir, mais n'est pas largement reconnue”, ajoute-t-il.Le jeune Shibusawa traverse une période d’intense engagement politique au cours de laquelle il adhère à la philosophie du sonnô jôi (révérer l'empereur, expulser les barbares) et envisage même à un moment donné d’incendier Yokohama, la ville où vivent de nombreux étrangers, les fameux “barbares”. Durant cette période de formation cruciale, ce pionnier de l’économie japonaise moderne – un homme qui, plus tard dans sa vie, s’est fait connaître pour sa pondération – a couru un réel risque d’être tué ou de finir en prison.“Oui, il semble miraculeux qu’il ait réussi à survivre à ces années turbulentes de luttes politiques, surtout si l’on considère que beaucoup de ses amis n’ont pas eu cette chance. En même temps, c’est un signe de sa capacité à lire une situation et à choisir le meilleur plan d'action. Dans ce cas précis, il a compris que la différence de puissance militaire était telle qu’il serait vain d’essayer d’expulser les ‘barbares’ par la force”, rappelle Shimada Masakazu.La perspicacité de Shibusawa Eiichi pourrait bien être le résultat de ses origines familiales. En effet, durant sa jeunesse, il a été fortement influencé par sa famille. “Son père a certainement joué un rôle fondamental dans la formation et l’inspiration du jeune homme. Tout d’abord, au lieu de se concentrer sur les produits de base habituels comme les autres familles d’agriculteurs de la région, il a été le pionnier d’une nouvelle activité fructueuse en achetant des feuilles d’indigo aux agriculteurs locaux, en les transformant en boules d’indigo (la matière première de la teinture à l’indigo), puis en les vendant. Cette nouvelle entreprise a permis de réaliser un chiffre d’affaires annuel de dix mille ryô. Cela équivaudrait à environ un milliard de yens aujourd’hui, une énorme somme d’argent. Son fils a ainsi appris qu’il était possible de briser les anciennes traditions et pratiques commerciales. De plus, comme ses cousins et d’autres membres de sa famille étaient impliqués dans cette entreprise, il a appris à apprécier l’importance de la collaboration et de la création d’un réseau de personnes partageant les mêmes idées”, souligne son biographe.“Par ailleurs, son père croyait en l’importance de s’instruire et a appris à Eiichi à écrire. Suite à ses encouragements, celui-ci a continué...