Le peintre japonais a passé les dernières années de sa vie à Reims. La capitale du champagne lui consacre jusqu’au 28 juin une magnifique rétrospective.
Inclassable. Voilà le terme qui caractérise peut-être le mieux Léonard Tsuguharu Foujita “le plus français des Japonais et le plus japonais des Français”, comme l’explique David Liot, directeur du musée des Beaux-arts de Reims et commissaire de l’exposition Foujita Monumental ! Enfer et Paradis. La carrière du peintre est aussi marquée par une dualité permanente entre sa culture d’origine et sa culture d’adoption que l’on retrouve dans toute son œuvre. C’est tout l’intérêt de cette rétrospective qui permet de suivre le cheminement artistique de Foujita qui s’est achevé, en 1966, par l’inauguration de la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix à Reims. Même s’il a vécu à Paris, Tokyo et à Villiers-le-Bâcle dans la dernière partie de sa vie, Foujita a toujours eu une relation particulière avec la capitale du champagne. Sa compagne, Madeleine Lequeux, originaire de la région, la lui a faite découvrir au début des années 1930. Plus tard, il se liera d’amitié avec René Lalou, le PDG de la maison de champagne Mumm, qui lui offrira le terrain sur lequel il édifiera sa chapelle. La ville de Reims est surtout liée à son baptême, le 14 octobre 1959, dans la cathédrale “célébrissime de la France des rois, lieu notamment où Clovis embrassa la foi chrétienne”, expliquait alors le quotidien France Soir. Mais avant d’en arriver là, Foujita a fait un long parcours au cours duquel il s’est construit en tant qu’artiste complet travaillant aussi bien sur des toiles que sur des murs, illustrant aussi bien des livres pour le grand public que L’Apocalypse de saint Jean, ouvrage monumental de 110 kg qui ne fut tiré qu’à un seul exemplaire.
En se rendant à Reims qui s’est mise à l’heure Foujita, le visiteur peut ainsi mieux comprendre ce qui a animé cet artiste génial qui, un jour de 1913, a choisi de s’installer en France pour découvrir l’art occidental qui fascine tant les élites nippones. “On me prédisait que je serai le premier peintre du Japon. Mais c’est le premier peintre de Paris que je rêvais d’être, il me fallait aller aux sources”, aimait-il répéter. Une ambition dévorante qui va le conduire à Montparnasse où vivent tous les artistes “branchés” de l’époque. Il va alors tenter de se faire un nom, en devenant la coqueluche des médias qui s’amusent devant ce Japonais prêt à toutes les excentricités pour faire partie du gratin artistique. Il y parvient très bien. Sa coupe à la chien et ses lunettes rondes sont de toutes les fêtes et son visage apparaît dans bien des publications du moment.
Mais Foujita ne se satisfait pas de cette reconnaissance médiatique. Il travaille d’arrache-pied pour être reconnu comme un artiste à part entière. “Il veut s’approprier la culture européenne”, rappelle David Liot. En témoigne son travail autour des corps allongés. “Il reste cependant très japonais avec cette science du trait, ce dédoublement entre l’aplat et le contour et cette monochromie qui peut rappeler les estampes japonaise”, poursuit le commissaire de l’exposition. Travailleur infatigable — il peint le jour, illustre des livres la nuit et vice-versa —, Foujita veut aussi laisser des traces artistiques de son passage. La première est d’ordre technique avec son désir de “reproduire le plus beau des matériaux : la peau humaine”. Pour cela, il réalise sa Grande composition (1928) sur des formats monumentaux (3 m x 3 m), un ensemble magnifique qui vaut à lui seul le déplacement à Reims. Ce qui ressort de ces quatre toiles, c’est cette dualité qui a toujours habité le peintre au même titre que sa quête pour la perfection. Sorte de collage, ce manifeste artistique préfigure le muralisme des années suivantes. A son retour au Japon dans les années 1930, il peindra de nombreuses fresques. La seconde est d’ordre philosophique. Elle a trait à la paix. Pour Foujita qui a vécu la guerre au Japon, elle est devenue une obsession qui aboutira à la construction de Notre-Dame-de-la-Paix. Les fresques et les vitraux qu’il y a réalisés en sont un témoignage clair. Reste que la manière dont il traite certains sujets montre une nouvelle fois que Foujita est un artiste inclassable. Et c’est tant mieux.
Gabriel Bernard