La construction de Tokyo Sky Tree (634 m) dans la partie orientale de la ville marque l’ouverture d’une nouvelle ère.
Ne nous y trompons pas. Tokyo est en train de vivre une révolution. En douceur certes, mais une révolution qui, une fois qu’elle sera achevée, se traduira par un changement des équilibres géographiques de la capitale. Ce bouleversement est lié en grande partie à la construction de Tokyo Sky Tree, gigantesque tour de communication dans le quartier d’Oshiage, arrondissement de Sumida, vers laquelle tous les regards commencent déjà à se tourner. Certains évoquent une révolution culturelle, rappelant que, depuis plusieurs décennies, la principale cité japonaise vivait au rythme de ce qui émergeait des quartiers situés à l’ouest du palais impérial, centre relatif de la ville. Nishi Azabu, Roppongi, Minami Aoyama, Nakameguro, Ebisu, Shinjuku, Harajuku ou encore Shibuya faisaient vibrer la ville et la plupart des grands mouvements de masse y ont pris racine. Souvenons-nous de la contestation étudiante de la fin des années 1960 qui s’exprimait violemment à Shinjuku, de ces centaines de jeunes, dix ans plus tard, qui se rassemblaient dans les allées du parc de Yoyogi pour danser au son des radio-cassettes ou encore de ces concentrations de boutiques de mode dans le luxueux quartier d’Aoyama. C’est justement ce luxe et les prix inabordables de l’immobilier qui conduisent de plus en plus de personnes à fuir tous ces endroits qui ne cadrent plus avec le Japon de ce début de XXIème siècle.
Le temps, où les grandes griffes étaient les seules références et où l’argent coulait à flot, a cédé sa place à une période de prise de conscience des limites du modèle de développement suivi par le pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont la Tour de Tokyo a été le symbole. Depuis quelques années, le Japon se cherche une nouvelle raison d’être plus écologique et tenant plus compte des individus. En choisissant de donner à la nouvelle tour le nom de Tokyo Sky Tree, les promoteurs du projet ont évidemment fait un choix symbolique très fort. Le ciel (sky) et l’arbre (tree) incarnent très bien l’esprit actuel et on ne s’étonne pas de voir de plus en plus de personnes se rendre dans cette partie de la ville comme s’ils voulaient s’imprégner encore davantage de cette atmosphère de changement chargée d’espoirs nouveaux. Le Yomiuri Shimbun, principal quotidien du pays, l’a bien compris. Il vient d’ouvrir un bureau au pied de l’édifice en construction et publie régulièrement des articles sur l’ambiance qui règne dans cette partie de la ville et les changements qui s’y opèrent.
Exemple de ce basculement culturel vers la partie orientale de la ville, le quartier de Bakurochô qui a longtemps été dominé par les grossistes en tissus. Depuis quelques mois, Bakurochô a changé de physionomie avec l’ouverture de nombreuses galeries et de plusieurs lieux qui attirent de plus en plus de créateurs et un public désireux de partager directement avec eux. Le One Drop Café (www.onedrop-cafe.com) et le Fukumori (http://fuku-mori.jp), espaces mixtes où l’on se retrouve pour participer à des spectacles, des ateliers ou partager un repas, figurent parmi les lieux les plus représentatifs de ce mouvement. Au nord de Bakurochô, se trouve Okachimachi, un endroit où se concentrent nombre de jeunes créateurs dont l’une des caractéristiques est de travailler sur la simplicité. Syuro (www.syuro.info) et Woodwork (www.woodwork.co.jp) cultivent ce désir de créer des objets qui rappellent l’artisanat d’autrefois.
D’une certaine façon, on assiste à la revanche de Shitamachi (la ville basse), nom donné à cette partie de l’ancien Edo qui se trouvait en contrebas du château, qui a perdu de son poids au profit des quartiers situés à l’ouest. En se tournant vers l’est, les Tokyoïtes, en particulier les plus jeunes, tournent le dos à ce Japon des cinquante dernières années et tentent de retrouver un nouvel élan, en s’appuyant sur des valeurs traditionnelles dans ces quartiers à distance du pouvoir politique et économique. Le regain d’intérêt pour le rakugo (monologue humoristique dont la tradition remonte au XVIIème siècle) est de ce point de vue intéressant. L’architecte Nishizawa Ryûe, qui a cofondé l’agence SANAA avec Sejima Kazuyo, expliquait récemment les raisons qui l’avaient amené à déménager les bureaux de l’agence à Tatsumi, quartier au sud-est de la capitale. L’absence de spectacles de rakugo à Shibuya ou Ebisu alors qu’on en trouve beaucoup à l’est de la ville justifiait en partie leur décision. Cela peut paraître anecdotique, mais cela illustre parfaitement l’état d’esprit de cette population jeune (20-40 ans) en quête de nouveaux repères. Avec le Tokyo Sky Tree et ses 634 mètres, nul doute qu’ils en auront un de très solide.
Odaira Namihei
Tokyo sky tree
Construction : 2008-2012
Hauteur : 634 m
Lieu : Oshiage, arrondissement de Sumida
Usage : Communication
Coût : 50 milliards de yens [450 millions d’€]
Site : www.tokyo-skytree.jp