La Tour de Tokyo a accompagné le développement du Japon des années de forte croissance. Aujourd’hui en crise, le pays se cherche un nouveau phare. Il s’appelle Tokyo Sky Tree.
Construit pour être une immense antenne de télévision, la Tour de Tokyo est devenue bien plus que cela.
A l’occasion du cinquantième anniversaire de l’inauguration de la Tour de Tokyo, la société responsable de sa gestion avait ouvert sur son site Internet un espace sur lequel elle invitait les visiteurs à rapporter leurs souvenirs relatifs à cet édifice. “L’événement qui a marqué ma vie a été ma rencontre avec la Tour de Tokyo”, a écrit l’un d’entre eux. Cela peut sembler exagéré, mais ce témoignage est représentatif des milliers de messages publiés alors sur le site. Il faut dire que son achèvement coïncide avec l’entrée du pays dans une nouvelle ère. Le Japon sort de la période de l’après-guerre et peut se projeter vers un avenir radieux dont la Tour de Tokyo sera le principal repère. Avec ses 333 mètres de hauteur, elle incarne “le rêve et l’espoir” de tout un peuple qui, à peine quinze ans auparavant, vivait dans une misère noire après des années de guerre en Asie et dans le Pacifique.
La tour a été construite afin d’y installer des antennes pour la télévision qui commence à susciter l’intérêt du grand public dont les revenus lui permettent désormais de s’équiper d’un téléviseur. Depuis le milieu des années 1950, les Japonais veulent posséder les trois trésors sacrés (sanshu no jingi) : réfrigérateur, lave-linge et poste de télévision. La première chaîne à émettre est la NHK en février 1953. La société publique est rapidement rejointe, en août de la même année, par Nippon Terebi qui devient la première chaîne privée. Parmi ses premières émissions, elle diffuse en direct une rencontre de base-ball entre l’équipe des Giants et sa grande rivale des Tigers. Pour permettre une bonne diffusion des signaux, il est indispensable de disposer d’un très haut bâtiment pour y installer des antennes. A l’époque, on recense trois tours de 150 à 165 mètres qui appartiennent aux principales chaînes (NHK, Nippon TV et TBS). Pour éviter la multiplication de ce type de construction, les autorités décident de lancer le chantier d’une tour de télédiffusion unique. Elle est construite en partie avec l’acier recyclé de chars que les entreprises japonaises avaient produits pour l’armée américaine au moment de la guerre de Corée (1950-1953).
Lorsqu’elle est achevée, l’immense tour domine la capitale japonaise. C’est le seul édifice que l’on voit de loin et qui va devenir pour des millions de personnes le symbole d’un nouveau Japon plus sûr de lui et capable de revenir sur le devant de la scène mondiale sans avoir à faire la guerre. Cet état d’esprit est très bien restitué dans le film Always – San chôme no yûhi [Soleil couchant à San chôme] sorti en 2005. Inspiré d’un manga portant le même titre, il raconte la vie d’un quartier modeste et de ses habitants tandis que les travaux de la Tour de Tokyo ont commencé. A mesure que la construction progresse, on sent monter un souffle d’optimisme parmi ces gens qui découvrent la possibilité de lendemains plus radieux. La dernière scène se déroule au moment où le soleil se couche sur la capitale. Les membres d’une de ces familles regardent au loin la ville dominée par la tour. “C’est à nouveau magnifique”, lance la mère. “Tu as raison”, confirme son mari. “Bien sûr. Et ça le restera demain, après-demain et pendant encore 50 ans”, renchérit leur fils. Puis la caméra se tourne vers la cité enveloppée par une lumière orangée synonyme d’apaisement et remplie de promesses.
Tout au long des décennies suivantes, le Japon va accélérer son développement. La Tour de Tokyo sera en quelque sorte la bonne étoile de cette période comme l’a joliment symbolisé le réalisateur Kon Satoshi (dont on a appris avec tristesse la disparition le 24 août) sur l’affiche de son film Tokyo Godfathers (2003). On y voit un enfant (semblable à l’enfant Jésus) sous la lumière protectrice de la tour. Pendant toutes ces années, la Tour de Tokyo a vécu au rythme d’un pays que rien ne semblait pouvoir arrêter. Cependant la crise qui a suivi l’éclatement de la bulle financière a changé la donne. La tour, symbole des années de forte croissance, a perdu un peu de sa superbe. L’écrivain Lily Franky résume bien cette évolution dans son roman Tôkyô tawâ okan to boku to, tokidoki, oton [La Tour de Tokyo, maman, moi, et papa de temps en temps, trad. par Patrick Honnoré, éd. Philippe Picquier] paru en 2005 au Japon. “Quand on regarde du haut de la Tour de Tokyo, on s’aperçoit de quelque chose. Quand on est en bas on ne s’en rend pas bien compte, mais il y a beaucoup de tombes à Tokyo. (…) Cette ville est le cimetière des rêves, des espoirs, des dépits, des tristesses”, écrit-il. Il est donc temps de tourner la page d’autant qu’avec “le développement de la télévision numérique , la Tour de Tokyo ne répond plus suffisamment aux besoins”, ajoute-t-il. Les autorités en ont, semble-t-il, pris conscience, en lançant le projet de Tokyo Sky Tree, une tour de 634 mètres, dont l’une des principales missions sera de faciliter la diffusion des signaux numériques. Située dans la partie orientale de la capitale, ses travaux devraient être achevés en 2012 (voir p. 7). A ce moment-là, la Tour de Tokyo basculera à jamais dans le passé et appartiendra à ces années glorieuses qui rendent si nostalgiques une partie des Japonais (ceux nés entre 1950 et 1970). Changer de symbole est donc devenu indispensable, comme en témoigne l’engouement actuel pour la Tokyo Sky Tree.
Odaira Namihei
Tour de Tokyo
Construction : 1957-1958
Hauteur : 333 m
Lieu : Shiba kôen, arrondissement de Minato
Usage : Communication
Coût : 6 milliards de yens [55,1 millions d’€]
Site : www.tokyotower.co.jp