Parlez-nous de votre première rencontre avec le cinéma de Kurosawa.
Harada Masato : Ce fut une rencontre fortuite avec La Forteresse cachée (Kakushi toride no san akunin, 1958) en janvier 1959. J’avais 9 ans. Je pense que j’avais suivi ma mère et mon grand-père qui voyaient tous les films en costume (jidai geki). Sans connaître le nom du réalisateur ni ceux des acteurs, j’ai été captivé par les aventures de Tahei et Matashichi. J’étais un peu comme le jeune des années 1970 qui, en regardant Star Wars, s’est senti concerné par les aventures de R2-D2 et C-3PO. J’ai toujours considéré ces deux hommes comme des héros plutôt que le général Rokurota incarné par Mifune Toshirô. Ma véritable rencontre avec le cinéma de Kurosawa remonte précisément au 7 juillet 1967. Ce jour-là, j’ai vu pour la première fois Les Sept samouraïs dans un cinéma de Numazu, ma ville natale. A l’époque, je tenais un carnet de notes sur le cinéma sur lequel je notais tout. La version que j’ai vue ce jour-là faisait 2h34. Il se peut que ce soit la première fois que l’on présentait cette version courte. J’ai aussi noté que j’avais crié lorsque Kyuzo interprété par Miyaguchi Seiji meurt. Il m’avait impressionné plus que tous les autres. Aujourd’hui je peux encore me souvenir facilement de cet instant alors que j’avais 18 ans. Il se peut que cela a été mon cri primal pour manifester mon intérêt pour le cinéma de Kurosawa.
Kurosawa continue-t-il à avoir de l’influence sur le cinéma actuel ?
H M. : Je crois qu’il est impossible d’imaginer le cinéma sans l’influence de Kurosawa. Quelle que soit la nationalité, il y a un langage cinématographique unique. Par exemple, La Source (Jungfrukällan, 1960) d’Ingmar Bergman est une approche à la Bergman qui a été influencé par Rashômon (1951) de Kurosawa. Les cinéastes qui ne cherchent pas à réfléchir à ce sujet sont nombreux. Même s’il n’y en a pas beaucoup, on forme chaque année des réalisateurs qui feront des œuvres inspirées par La Source ou Rashômon. Dans le Panthéon du cinéma, on retrouve assurément Ford, Hawks, Bergman et Kurosawa. C’est une certitude irrévocable.
En ce qui me concerne, dans mon film Kinyû fushoku rettô – Jubaku (Ensorcelé – L’archipel en décomposition financière, 1999), la conférence de presse ou encore l’assemblée générale des actionnaires rappellent sans aucun doute Entre le ciel et l’enfer (Tengoku to jigoku) que Kurosawa a sorti en 1963. En voyant mon film, Martin Scorsese a fait un commentaire où il le comparait à Les Salauds dorment en paix. Pour moi, cette œuvre de 1960 est d’une qualité bien inférieure à la moyenne des autres films de Kurosawa. Malgré cela, c’est un grand honneur pour moi qu’on ait songé à comparer mon travail à ce film.
Si je devais résumer ce qui fait la force de ses films, je dirais que c’est sa capacité de faire des œuvres à partir de rien et avec tous les personnages à l’instar de tous ces paysans dans Les Sept samouraïs. Le nombre de personnages que Kurosawa a créé est impressionnant. Il est sans doute le cinéaste qui a fait naître sur écran le plus grand nombre de vies. Howard Hawks, le réalisateur que je respecte le plus en a créé une dizaine. Avec ces 10 personnages, il a fait plus de 30 films. Quand j’écris un scénario, j’essaie toujours de me rapprocher de Kurosawa sur cette question des personnages. Depuis Kamikaze Taxi (1995), je poursuis cette tâche à ma façon.
Vous avez publié un livre d’entretiens avec Kurosawa. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
H. M. : En mars 1990, Kurosawa s’est rendu à Los Angeles pour recevoir un Oscar d’honneur. C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois alors que je faisais un reportage pour la chaîne de télévision publique NHK. Je l’ai précisément rencontré au siège d’Amblin Entertainment, la société de production de Steven Spielberg. Ce jour-là, Spielberg et George Lucas sont passés. Pendant les pauses, j’ai raconté à Kurosawa que ma première visite sur un lieu de tournage avait été Gotemba où il avait réalisé Les Sept samouraïs. Nous nous sommes peu à peu rapprochés. Il m’a appris qu’il était venu à Numazu pour le tournage de Uma (Le Cheval, 1941) lorsqu’il était encore assistant réalisateur et qu’il avait séjourné à l’auberge Miyako. Cette auberge appartenait à la famille de mon père. Après mon retour au Japon, j’ai rendu visite à Kurosawa chez lui en compagnie de mon ami Yui Masayuki (il interprète le rôle de Tokugawa Ieyasu dans Kagemusha). J’ai abordé avec lui l’idée de transformer un reportage sur la sortie de Rhapsodie en août (Hachi-gatsu no kyôshikyoku, 1991) en un livre. Même si l’ouvrage tourne beaucoup autour de ce film, nous avons aussi abordé d’autres films en détails. Au fil du temps, l’idée a germé de faire une interview de Kurosawa sur chacune de ses réalisations. Mais faute de temps, nous n’avons pas pu le faire. Aujourd’hui encore, quand j’y pense, ça me rend triste. Depuis quelque temps, on remarque un regain d’intérêt pour l’œuvre du cinéaste. Les questions le concernant se multiplient. Quoiqu’il en soit, j’ai installé dans mon salon un autel où figurent les DVD de la fameuse collection américaine Criterion et ses superbes présentations. Chaque jour, je lui rends hommage.
Propos recueillis par Gabriel Bernard