Malgré son air délirant et la volonté de son auteur d’en rajouter, ce manga inclassable offre un regard original sur le Japon actuel.
Hanakuma Yûsaku n’est assurément pas un mangaka comme les autres et son œuvre s’inscrit évidemment dans un registre bien différent de celui auquel la plupart des éditeurs nous ont habitués ces dernières années. Il faut préciser que l’homme a fait ses débuts chez Garo, mensuel de prépublication le plus intéressant de son temps, et qu’il a poursuivi en faisant évoluer ses personnages chez Ax. Digne successeur de Garo, cette revue mensuelle éditée par Seirin Kôgeisha, a cette même ambition de mettre en avant des auteurs au graphisme et à l’imagination non conforme aux standards habituellement en vigueur dans le monde de l’édition nippone. A la lecture de Tokyo Zombie, on comprend d’emblée qu’une œuvre de cette nature ne pouvait qu’apparaître dans une publication avant-gardiste. De la même façon, on ne s’étonne guère de la trouver publiée en France chez Imho qui, depuis des années, nous fait découvrir des pans méconnus du manga avec une folle envie de nous surprendre. Reconnaissons-le, ça marche à chaque fois. Que ce soit avec Mizuno Junko, Sakabashira Imiri ou encore Kaneko Atsushi, l’éditeur de la rue de Belleville nous a réservé ces dernières années de bien belles surprises. Avec Hanakuma Yûsaku, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre et qui nous transporte dans un univers délirant rempli de zombies. Publié initialement en 1999 dans les premiers numéros du mensuel Ax, Tokyo Zombie est un manga “apocalyptique” si l’on en croit l’artiste. Il met en scène Fujio et sa coupe afro et Mitsuo le chauve, les deux personnages récurrents dans l’œuvre de Hanakuma Yûsaku. Fans de jiu-jitsu, les deux hommes ne ratent jamais une occasion de s’entraîner même pendant les heures de travail. Une situation intolérable pour leur chef qui les considère comme des ratés et cherche à les humilier. Alors que dans une autre entreprise, les personnes mises en cause auraient baissé la tête et attendu que l’orage passe, Fujio frappe mortellement l’individu, les obligeant à aller cacher le corps au sommet du “fuji noir”, énorme pile de détritus en forme de montagne. Le Japon comme on l’aime. Hanakuma en rajoute une couche dès qu’il peut, montrant et/ou dénonçant les travers de la société japonaise où les profs battent leurs élèves, les hommes préfèrent les collégiennes et les zombies font la loi. C’est ce que les deux hommes découvrent, en allant enterrer leur chef. Ils tombent nez à nez avec ces êtres qui vont fondre sur la capitale et vont obliger la population à vivre derrière un mur de protection. Mais elle est soumise au bon vouloir d’une élite armée qui l’a réduite à l’esclavage. L’auteur poursuit à sa manière sa dénonciation d’un système dans lequel l’être humain n’a comme alternative que de mourir au travail ou dévoré par des zombies lorsqu’il ose se rebeller. Le zombie fight, sorte de combat de gladiateurs adapté à l’univers farfelu de Hanakuma, va devenir le lieu d’où partira la révolte. Fujio et Mitsuo seront évidemment les héros. En dépit de sa tendance à toujours vouloir en rajouter, l’auteur parvient toutefois à nous entraîner dans son monde pour le moins étrange. Le Japon est finalement sauvé grâce au jiu-jitsu. La reconstruction peut donc commencer “comme à l’après-guerre”, période qui fait rêver de nombreux Japonais, y compris Hanakuma pourtant né en 1967 ! Tokyo Zombie peut aussi se lire comme cela et c’est justement ce qui en fait une œuvre passionnante et pas aussi “potache” qu’on pourrait le croire au premier abord. Il faut juste se souvenir de son premier lieu de publication et ajouter que Hanakuma Yûsaku continue de “sévir” tous les mois dans Saizô, un des magazines les plus impertinents au pays du Soleil-levant.
Gabriel Bernard
Référence :
Tokyo Zombie de Hanakuma Yûsaku, trad. par Aurélien Estager, éd. IMHO, 12 €. www.imho.fr